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Sauver sa peau<br />
Le livre de Laur<strong>en</strong>ce Tardieu retrace un cheminem<strong>en</strong>t<br />
qui va de la sidération à la libération.<br />
Histoire aussi d’une réconciliation : d’une fille<br />
avec son père, mais aussi d’une jeune fille avec<br />
son <strong>en</strong>fance et ses désirs de femme. Tout cela<br />
passe par la nécessité absolue dans laquelle elle se<br />
trouve de compr<strong>en</strong>dre et de briser le sil<strong>en</strong>ce, au<br />
s<strong>en</strong>s littéral, à savoir celui de mettre <strong>en</strong>fin des<br />
mots sur les situations et les s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>ts. Le récit<br />
autobiographique dévoile peu à peu, avec des<br />
allers-retours du prés<strong>en</strong>t au passé, la particularité<br />
de la relation de Laur<strong>en</strong>ce et son père, dans le<br />
respect et l’affection, mais aussi dans l’inexprimé.<br />
À la mort à la vie<br />
Pour ses quatre-vingt-dix ans, Octave Lassalle<br />
s’offre un drôle de cadeau : «une équipe pour la<br />
vie» car «pas question qu’on me colle n’importe qui<br />
pour s’occuper de ma carcasse quand il sera trop tard<br />
pour choisir.» L’anci<strong>en</strong> chef de service cardiologie,<br />
qui est aussi un anci<strong>en</strong> chasseur, a toujours su<br />
anticiper et organiser. Alors, pour accompagner<br />
sa fin de vie, il a sélectionné sur annonce quatre<br />
personnes, trois femmes et un homme. Ils se<br />
relaieront auprès de lui dans la grande demeure,<br />
chacun à des horaires précis, et disposeront d’une<br />
clé de la maison et d’une chambre. La réunion de<br />
ces quatre personnes très différ<strong>en</strong>tes est la dernière<br />
av<strong>en</strong>ture de la vie d’Octave. Une façon<br />
pour lui d’att<strong>en</strong>dre la mort <strong>en</strong> vie. Car, de fait,<br />
son exist<strong>en</strong>ce change, portée par l’énergie de «ces<br />
quatre-là». Grâce à eux, le vieillard va <strong>en</strong>fin pouvoir<br />
tirer un trait sur son passé douloureux. Grâce<br />
à lui, les quatre autres vont repr<strong>en</strong>dre, chacun à<br />
sa manière, le fil de la vie. La maison elle-même<br />
va r<strong>en</strong>aître de cette étrange cohabitation. Le<br />
nouveau roman de Jeanne B<strong>en</strong>ameur, tout <strong>en</strong><br />
s<strong>en</strong>sibilité et jamais mièvre, est un hymne au<br />
désir sous toutes ses formes. Il est aussi action de<br />
Fauviste<br />
Une t<strong>en</strong>tation d’écriture crue <strong>en</strong> larges aplats,<br />
viol<strong>en</strong>te, semble animer Minna Sif dans<br />
Massalia Blues. La parole des personnages hauts<br />
<strong>en</strong> couleur issus du lump<strong>en</strong> même plus<br />
prolétari<strong>en</strong> est rapportée par la narratrice,<br />
écrivain public aux abords de la Poste Colbert à<br />
Marseille. Défil<strong>en</strong>t les misères, les destins<br />
écorchés, les vieillards abandonnés dans leur pus,<br />
les prostitué(e)s, les petits dealers, les marchands<br />
de sommeil. Émerge Brahim, «clochard céleste»<br />
qui pousse son caddie dans les bas quartiers, et<br />
refuse de se r<strong>en</strong>dre à la préfecture pour demander<br />
ses papiers. Il se raconte, évoque son <strong>en</strong>fance de<br />
l’autre côté de la Méditerranée, nous fait croiser<br />
son père qui a perdu son pied à la guerre, sa mère,<br />
qui insulte le feu qui ne veut pas pr<strong>en</strong>dre, Leïla,<br />
la putain aux canines d’or…<br />
Note bleue, idées noires d’une musique faite<br />
pour chanter les douleurs de la vie, ce Blues tisse<br />
des mots sur ces trajectoires humaines. Le style<br />
travaillé au corps cherche à r<strong>en</strong>dre par un<br />
Car ce père brillant s’est trouvé condamné <strong>en</strong><br />
1996 pour corruption, au bout de quinze années<br />
à un poste important de la Générale des Eaux.<br />
Au même mom<strong>en</strong>t sa femme est atteinte d’un<br />
cancer. Soudain l’univers de la famille se craquelle,<br />
mais ri<strong>en</strong> ne sera dit. Laur<strong>en</strong>ce évoque<br />
cette «matière lourde, poisseuse» qui l’étouffe, ce<br />
monstre qui l’<strong>en</strong>traîne dans un trou. Des années<br />
plus tard elle décide de briser le sil<strong>en</strong>ce par l’écriture<br />
de ce livre <strong>en</strong> train de se faire sous nos yeux,<br />
bravant l’interdiction de son père d’étaler leur<br />
histoire. Dans les dernières pages Laur<strong>en</strong>ce et son<br />
père sont fictivem<strong>en</strong>t face à face ; elles sont écrites<br />
grâces : à la beauté de la nature, à l’art, à l’homme<br />
surtout. Dans cette espèce de paradis retrouvé,<br />
<strong>en</strong>tre ess<strong>en</strong>ces rares, haïkus et portraits du<br />
Fayoum, c’est la vie qu’il s’agit de sauver. Malgré<br />
le doute, malgré la mort. Les cinq «profanes»<br />
embarqués dans cette histoire s’emploi<strong>en</strong>t de<br />
toutes leurs forces à faire palpiter «le sacré, le vif<br />
de la vie», sans recourir à un dieu quelconque.<br />
«Ri<strong>en</strong> que des hommes et des femmes.» Une<br />
émouvante profession de foi… <strong>en</strong> l’humanité.<br />
FRED ROBERT.<br />
Profanes<br />
Jeanne B<strong>en</strong>ameur<br />
Actes Sud, 20 €<br />
vocabulaire riche, émaillé d’expressions, de<br />
trucul<strong>en</strong>ce, ce monde déshérité. Mais on n’y<br />
croit pas, les personnages parl<strong>en</strong>t une langue trop<br />
littéraire, les images fortes s’épuis<strong>en</strong>t dans leur<br />
<strong>en</strong>chaînem<strong>en</strong>t systématique. On a l’impression<br />
de ne pas progresser dans ce roman qui sans<br />
doute aurait gagné à être allégé, à ne pas chercher<br />
des trouvailles de style, mais à raconter plus<br />
simplem<strong>en</strong>t une histoire forte, hélas plus<br />
vraisemblable que la langue qui la rapporte.<br />
MARYVONNE COLOMBANI<br />
Massalia Blues<br />
Minna Sif<br />
Alma Éditeur, 18€<br />
dans un flux large et pr<strong>en</strong>ant de phrases amples,<br />
juxtaposées, allant jusqu’au bout du souffle, pour<br />
effacer la honte et trouver le goût de la vie.<br />
CHRIS BOURGUE<br />
La confusion des peines<br />
Laur<strong>en</strong>ce Tardieu<br />
Stock, 16 €<br />
Stèles<br />
Laur<strong>en</strong>ce Tardieu<br />
était aux ABD avec<br />
Camille Laur<strong>en</strong>s pour<br />
Écrivains <strong>en</strong> dialogue<br />
(voir p. 42)<br />
D’abord un chiffre, inaugural, obsédant, glissé partout,<br />
sous toutes ses formes comme une note<br />
insistante dans une sonate pour piano : le 29 qui<br />
accompagne chacune des «visions dans l’exil» du<br />
titre, ouvre et ferme chaque chant, le scande et<br />
sans doute le fonde dans la terreur des «29 trépassés»<br />
«29 victimes» «cataclysme des 29» ou<br />
«sacrifice des 29». Le poète algéri<strong>en</strong> Brahim Hadj<br />
Slimane semble fixer un nombre et l’arrêter<br />
comme l’allégorie définitive du malheur, de la<br />
déc<strong>en</strong>nie noire et de la litanie arithmétique des<br />
morts. 29 corps se confond<strong>en</strong>t avec l’écriture et la<br />
typographie du poème tout <strong>en</strong> colonnes de mots<br />
dressés.<br />
Dans sa préface, véritable guide de lecture, Bernard<br />
Noël évoque un «Hermès verbal» : borne<br />
placée aux carrefours et surmontée de la tête du<br />
messager des dieux, constituée au départ d’un<br />
empilem<strong>en</strong>t de pierres déposées par les passants.<br />
Le lecteur reconnaît là sa nécessaire contribution<br />
à l’élaboration d’une «vision» (davantage du côté<br />
de l’instantané et de la saisie du réel que du soufisme<br />
visionnaire) qui ne pr<strong>en</strong>d forme que dans<br />
le ressassem<strong>en</strong>t, le va-et-vi<strong>en</strong>t de la navette qui<br />
trame une figure qui apparaît doucem<strong>en</strong>t ou<br />
reste sous-jac<strong>en</strong>te. Le matériau s’accumule :<br />
référ<strong>en</strong>ces, noms de personnes et de personnages<br />
(au milieu de tant d’autres Jean Sénac et Scipion<br />
l’Africain), mythe, lég<strong>en</strong>de, histoire, la Bakhta de<br />
Cheb Khaled, le raï ou les feuilletons oranais. Et<br />
cela s’élabore <strong>en</strong> vers libres souv<strong>en</strong>t courts, ciselés<br />
et elliptiques, qui laiss<strong>en</strong>t le lecteur dans l’exil et<br />
le conduis<strong>en</strong>t à ne se saisir que ce qui fait s<strong>en</strong>s,<br />
c’est-à-dire l’éternel algéri<strong>en</strong> : mer, soleil, sang,<br />
sacrifice et couteau... Appauvrissem<strong>en</strong>t immérité<br />
sans doute, mais comm<strong>en</strong>t faire pour <strong>en</strong>trer dans<br />
un lyrisme si lacunaire ?<br />
MARIE JO DHO<br />
Vingt-neuf visions dans l’exil<br />
Brahim Hadj Slimane /<br />
dessins d’Abdellaziz Zodmi<br />
La courte échelle / éditions<br />
transit, 9 €<br />
45<br />
L<br />
I<br />
V<br />
R<br />
ES