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L’exil et le royaume<br />
Frêle, flottant dans un vêtem<strong>en</strong>t trop grand, se balançant d’un pied<br />
sur l’autre comme pour chercher un appui, les phrases tout aussi<br />
susp<strong>en</strong>dues que le corps, Kiye Simon Luang est v<strong>en</strong>u prés<strong>en</strong>ter <strong>en</strong><br />
avant-première à l’Alhambra, ce 24 janvier, son dernier film Tuk tuk,<br />
un moy<strong>en</strong>-métrage distribué par la désormais «frichiste» Shellac<br />
sud/Film flamme et produit par Thomas Ordonneau. Né au Laos<br />
<strong>en</strong> 1966, accueilli à 10 ans par une famille française, le réalisateur<br />
n’est retourné dans son pays que 17 ans plus tard et n’<strong>en</strong> finit pas de<br />
dire, film après film, avec pudeur et délicatesse, l’exil et le retour. Ce<br />
dernier opus pr<strong>en</strong>d la forme d’un road movie. Hèk (interprété par<br />
Kiyé lui-même), rev<strong>en</strong>u au pays natal après 35 années passées <strong>en</strong><br />
France, <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>d avec son frère de transporter les c<strong>en</strong>dres de leur<br />
père jusqu’au village natal de ce dernier. Moy<strong>en</strong> de locomotion prisé<br />
<strong>en</strong> Asie, le tuk tuk, emblème des laoti<strong>en</strong>s selon Kiyé, pour la<br />
souplesse de conduite qu’il exige sur des routes-pistes défoncées et<br />
le détachem<strong>en</strong>t z<strong>en</strong> qu’il nécessite pour souffrir son inconfort,<br />
devi<strong>en</strong>t une allégorie du film. Modeste et ambitieux (jamais un voyage<br />
dans les montagnes ne serait possible avec cet <strong>en</strong>gin !), jouant sur<br />
le concret du docum<strong>en</strong>taire et la liberté d’une fiction, allant son train<br />
par sauts successifs le long d’un trajet-trajectoire parfois elliptique,<br />
Tuk tuk <strong>en</strong>traîne les spectateurs dans un Laos intime, pays d’origine<br />
universel. Un «quelque part» auquel tous aspir<strong>en</strong>t. La silhouette de<br />
Hèk <strong>en</strong> costume noir, improbable dans ce contexte, voulu «comme<br />
un coup de pinceau dans l’image», la caresse de la mère sur les<br />
cheveux de son fils, les corps des frères <strong>en</strong>dormis, le rire de l’ivresse,<br />
le partage des repas. Peu d’informations sur ces personnages définis<br />
comme «la mère», «le petit frère», une française de hasard croisée<br />
à l’aéroport, qui s’affirm<strong>en</strong>t par l’évid<strong>en</strong>ce seule de leur prés<strong>en</strong>ce<br />
dans le champ, sans bavardages. Le cinéma comme royaume fictif<br />
«où chacun peut apporter son histoire» a conclu Kjié Simon Luang,<br />
avant d’<strong>en</strong>gager le public à aller goûter dans le hall, le plat national<br />
du Laos, un laap géant.<br />
ÉLISE PADOVANI<br />
Tuk tuk de Kiye Simon Luang<br />
Movies qui<br />
mouv<strong>en</strong>t<br />
Le groupe artistique Les Pas perdus, «association<br />
nomade adepte des jeux de mots et des couleurs<br />
vives» proposait le 29 janvier aux Variétés une<br />
«soirée mouvem<strong>en</strong>tée», relevée au jus de gingembre<br />
offert <strong>en</strong> fin de projection. Mouvem<strong>en</strong>tée, la<br />
soirée ne le fut -et c’est heureux- qu’au travers des<br />
trois «movies» proposés. Tous trois témoignant<br />
d’une belle énergie créative pour faire «bouger» le<br />
monde et, sous des dehors farfelus, d’un sacré<br />
travail ! La balle au bond, réalisé par le plastici<strong>en</strong><br />
Guy-André Lagesse dans le cadre du projet Footsak,<br />
<strong>en</strong>chaîne dix micro-fictions nées des échanges<br />
autour du ballon rond avec des africains r<strong>en</strong>contrés<br />
p<strong>en</strong>dant la préparation de la Coupe du monde de<br />
2010, <strong>en</strong> Afrique du sud. D’Alger à Durban, d’un<br />
shoot sahraoui impossible devant des poteaux <strong>en</strong><br />
perpétuel mouvem<strong>en</strong>t, se transformant <strong>en</strong> tir à<br />
balles réelles à la fabrication d’un ballon froufroutant<br />
créé à partir de sacs plastique glanés dans<br />
les buissons, <strong>en</strong> passant par les extravagants maquillages<br />
et costumes des supporters, se dessine<br />
une Afrique effervesc<strong>en</strong>te, inspirée, inv<strong>en</strong>tive. Là où<br />
les ancêtres mèn<strong>en</strong>t la danse, un film «plus ou<br />
moins» de l’architecte Doung Answaaar Jahangeer<br />
et du même Lagesse, se définit comme un «walk<br />
movie». Marche des deux réalisateurs <strong>en</strong>tre les<br />
squats de Cato Manor et le c<strong>en</strong>tre de Durban. Entre<br />
passé ségrégationniste et prés<strong>en</strong>t post apartheid,<br />
des écrans s’ouvr<strong>en</strong>t dans les murs, les ancêtres<br />
apparaiss<strong>en</strong>t, disparaiss<strong>en</strong>t dans le ciel ou le<br />
caniveau. Subtilité des impressions croisées, des<br />
superpositions, dynamisme de la ville <strong>en</strong>tre visible<br />
et invisible. La prom<strong>en</strong>ade du jardin des souhaits<br />
bricolés de Catherine Terrier et de Lagesse, autodocum<strong>en</strong>taire<br />
sur l’expéri<strong>en</strong>ce du groupe dans<br />
l’anci<strong>en</strong>ne cité minière de Bruay-La-Buissière, se<br />
dit «une œuvre de presque ri<strong>en</strong> et de pratiquem<strong>en</strong>t<br />
tout». Accoucher les habitants de la région dev<strong>en</strong>us<br />
«des occasionnels de l’art» de réalisations plastiques<br />
visuelles et sonores abouties, libérer les regards<br />
sur ce lieu traversé de souv<strong>en</strong>irs, faire surgir dans le<br />
paysage un art brut qui transforme, bouleverse,<br />
étonne jusqu’aux auteurs eux-mêmes des projets,<br />
orchestrer avec humour, bonhomie, respect, les<br />
idées de chacun, créer un jardin commun cultivé de<br />
désirs, d’histoires, d’émotions. Un parti-pris poétique<br />
drôle, émouvant, optimiste et jubilatoire !<br />
E.P.<br />
Cette soirée a marqué le lancem<strong>en</strong>t<br />
des réalisations du groupe artistique<br />
Les Pas Perdus dans le cadre de MP2013.<br />
À suivre sur www.lespasperdus.com<br />
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www.journalzibeline.fr<br />
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