Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
La mer, l’OM et les lycé<strong>en</strong>s<br />
«Madame, quand vous serez morte, vous p<strong>en</strong>sez<br />
qu’on vous lira <strong>en</strong>core ?» «Madame, sans être<br />
impolie, s’il n’y a pas de message dans vos livres, à<br />
quoi ça sert de les lire ?» «Vous avez déjà sauté de la<br />
corniche dans la mer ?» Dominant les petits rires<br />
étouffés Maylis de Kérangal répond méthodiquem<strong>en</strong>t<br />
et avec doigté aux mots parfois maladroits<br />
des élèves, nés d’une curiosité spontanée, et<br />
aborde <strong>en</strong> douceur des notions comme la postérité<br />
de l’œuvre ou les subtilités du réalisme... Un<br />
Prix Médicis dans la classe «c’est classe» jubile<br />
Simon <strong>en</strong> essayant avec d’autres d’obt<strong>en</strong>ir une<br />
dédicace pour son Corniche K<strong>en</strong>nedy, malgré les<br />
rétic<strong>en</strong>ces éclairantes et g<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t pédagogiques<br />
de l’auteure !<br />
Quittant le bord de mer «à peine arp<strong>en</strong>té mais<br />
un si beau théâtre à ciel ouvert» pour le 12 e arrondissem<strong>en</strong>t,<br />
Maylis de Kérangal avec une tranquille<br />
assurance fait à plein ce week-<strong>en</strong>d là son métier<br />
d’écrivain à Marseille : r<strong>en</strong>contrer de jeunes lecteurs<br />
au lycée de La Fourragère, de plus vieux au<br />
J1, puis aller au Stade Vélodrome, semble relever<br />
du même mouvem<strong>en</strong>t tout comme écrire des<br />
romans, appart<strong>en</strong>ir au comité de rédaction de la<br />
revue Inculte et r<strong>en</strong>dre sa copie hebdomadaire au<br />
journal La Marseillaise dans le cadre des Mystères<br />
de la Capitale, série de feuilletons initiés par<br />
MP2013 !<br />
Après sa résid<strong>en</strong>ce d’écriture à la Commanderie,<br />
Maylis de Kérangal avoue malicieusem<strong>en</strong>t au<br />
journaliste Pascal Jourdana être «une intermitt<strong>en</strong>te<br />
du foot» s<strong>en</strong>sible à l’empreinte imaginaire<br />
de ce sport dont elle s’étonne qu’il n’ait pas plus<br />
de place <strong>en</strong> littérature. Et le titre donné aux 4<br />
épisodes <strong>en</strong> cours de parution, loin de refroidir<br />
les curiosités, témoigne de ce déplacem<strong>en</strong>t du<br />
regard qui sans nier le mythe le distille et le transforme<br />
; ces Ferv<strong>en</strong>ts qui vont se croiser dans le<br />
temps et l’espace éphémères du roman-feuilleton<br />
n’honor<strong>en</strong>t ni les mêmes dieux ni les mêmes<br />
lieux : Agnieska la novice polonaise (pas Anelka<br />
n’est-ce pas ?) débarque au couv<strong>en</strong>t de la Serviane<br />
Maylis de Kerangal © X-D.R.<br />
(ses Filles du Cœur de Jésus, son jardinier anarchiste-assassin<br />
et ses querelles de voisinage avec<br />
l’OM) tandis que Cosmo campe littéralem<strong>en</strong>t<br />
sur les bords de la pelouse sacrée... C’est avec<br />
plaisir et aisance, semble-t-il, que la commande<br />
est honorée : l’écriture fractionnée à l’intérieur<br />
de la continuité, l’espace restreint du feuillet<br />
invit<strong>en</strong>t à une certaine «réforme» de l’écriture et<br />
<strong>en</strong> tout cas à une évolution de la langue au fil des<br />
épisodes, vitalité et remises <strong>en</strong> question qui ne<br />
lui sont pas étrangères.<br />
À la fin de la r<strong>en</strong>contre dans le territoire flottant<br />
du J1, après avoir évoqué la nécessité de se<br />
«déboiter» et de «lever ses propres mythographies»,<br />
l’auteure toujours souriante affirme modestem<strong>en</strong>t<br />
que «la fiction est le moy<strong>en</strong> de se construire<br />
soi-même à partir de l’altérité», et se prête sans<br />
rétic<strong>en</strong>ce appar<strong>en</strong>te cette fois à une nouvelle<br />
séance de dédicaces... Belle connaissance du<br />
terrain, madame !<br />
MARIE-JO DHO<br />
La lecture-r<strong>en</strong>contre avec Maylis de Kérangal<br />
animée par Pascal Jourdana a eu lieu le 19 janvier<br />
dans le cadre de MP2013 <strong>en</strong> part<strong>en</strong>ariat<br />
avec La Marseillaise et Libraires du Sud<br />
Le roman-feuilleton est lisible sur l’édition<br />
internet de La Marseillaise<br />
www.lamarseillaise.fr<br />
41<br />
L<br />
ITTÉ<br />
R<br />
A<br />
T<br />
U<br />
RE<br />
Quand l’Arche fait<br />
escale au Lièvre<br />
Pierre S<strong>en</strong>ges était tout récemm<strong>en</strong>t<br />
l’invité des Escales <strong>en</strong> Librairies ; à<br />
Marseille, la r<strong>en</strong>contre eut lieu au<br />
Lièvre de mars, ce qui était tout<br />
indiqué pour évoquer son dernier<br />
opus, Zoophile contant fleurette, qui<br />
revisite de façon jubilatoire l’histoire<br />
de l’Arche de Noé (le brave patriarche<br />
dev<strong>en</strong>ant ici le zoophile dont il<br />
est question dans le titre). Cet écrivain<br />
fort peu académique, auteur<br />
d’une quinzaine de livres qui mêl<strong>en</strong>t<br />
allègrem<strong>en</strong>t les g<strong>en</strong>res et distill<strong>en</strong>t<br />
une érudition décalée, a t<strong>en</strong>u tout<br />
d’abord à r<strong>en</strong>dre hommage à<br />
l’éditrice de Cadex ; c’est elle qui lui<br />
a proposé d’<strong>en</strong>trer dans sa collection<br />
«texte au carré», consacrée à<br />
des textes courts dont les auteurs<br />
choisiss<strong>en</strong>t eux-mêmes le préfacier<br />
et l’illustrateur. Dans le cas prés<strong>en</strong>t,<br />
Stéphane Audeguy, qui donne un<br />
plaisant avant-goût du livre, et<br />
Sergio Aquindo, dont le trait n’est<br />
pas sans évoquer les planches des<br />
<strong>en</strong>cyclopédies anci<strong>en</strong>nes. Le texte<br />
s’est construit à partir d’un extrait<br />
que S<strong>en</strong>ges offre <strong>en</strong> prélude et qu’il<br />
attribue à Giordano Bruno. Si les<br />
questions concernant le nombre<br />
d’animaux que pouvait abriter l’Arche<br />
ont été de vraies questions, que<br />
des g<strong>en</strong>s très sérieux se sont posées<br />
autrefois, la réponse que le prélude<br />
apporte est tout aussi blasphématoire<br />
que les écrits de son auteur<br />
prét<strong>en</strong>du. De cette hypothèse loufoque<br />
(et zoophile) S<strong>en</strong>ges s’empare<br />
pour une de ces variations qu’il affectionne,<br />
autour de «quatre-vingtdix-neuf<br />
espèces classées dans le plus<br />
beau désordre». Où l’on découvre<br />
comm<strong>en</strong>t Noé fit l’amour avec la<br />
baleine, le lièvre (ti<strong>en</strong>s donc) et<br />
même la mangue ! Quatre-vingtdix-neuf<br />
fragm<strong>en</strong>ts, dont chacun<br />
joue avec ceux qui précèd<strong>en</strong>t ou qui<br />
suiv<strong>en</strong>t, créant des effets de contrastes<br />
ou d’échos. Un texte <strong>en</strong> forme<br />
de liste, dans l’esprit des bestiaires.<br />
Pierre S<strong>en</strong>ges au Lievre de Mars © L.P.<br />
Avec à l’habitude des sources sci<strong>en</strong>tifiques<br />
sérieuses, que la fiction vi<strong>en</strong>t<br />
décaler, comme un jeu nécessaire<br />
pour éviter les livres «gravés dans le<br />
marbre». Deux temps de lecture par<br />
l’auteur ont permis de savourer<br />
l’humour et la subtilité de ces petits<br />
textes «animaliers».<br />
FRED ROBERT<br />
Pierre S<strong>en</strong>ges était au Lièvre de mars<br />
(Marseille) le 29 janvier et au forum<br />
Harmonia Mundi (Aix) le 30 janvier<br />
À lire<br />
Zoophile contant fleurette (éditions<br />
Cadex, 12 €) mais égalem<strong>en</strong>t<br />
La réfutation majeure, disponible<br />
<strong>en</strong> poche (Folio)