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تازمامارت<br />
310 Tazmamart<br />
L’Enfermement, <strong>le</strong> Partage Lieux et mémoire<br />
311<br />
Alors qu’ils étaient encore incarcérés dans la prison<br />
de Kénitra, <strong>le</strong>s militaires condamnés suite aux attentats<br />
de 1971 et 1972, avaient entendu par<strong>le</strong>r du projet<br />
de construction d’un bagne dans <strong>le</strong> désert, destiné à<br />
<strong>le</strong>s accueillir. Ils ne tardèrent pas à découvrir ce qui dès<br />
l’origine, devait servir de lieu de détention, et surtout, de<br />
long chemin vers l’absurde et la mort.<br />
Une littérature diversifiée nous renseigne sur <strong>le</strong>s divers<br />
aspects de la vie à Tazmamarte pendant <strong>le</strong>s dix-huit<br />
années de « bons et loyaux services ». On peut avancer<br />
sans crainte d’être contredit que d’un point de vue<br />
commercial, Tazmamart fait vendre. C’est dire l’intérêt que<br />
porte l’opinion publique marocaine à ce bout de son<br />
histoire immédiate. Quand pendant <strong>le</strong> mois de Ramadan<br />
1999, <strong>le</strong> journal Al-Ittihad Al-Ichtiraki publia en série <strong>le</strong>s<br />
mémoires de Mohammed Rais, un rescapé, la vente dudit<br />
journal atteignit des records. Les Marocains découvrirent<br />
qu’ils étaient bernés, et de bel<strong>le</strong> manière. Quelques<br />
années plus tard, Hachad et Marzouki, encore deux<br />
rescapés, accordèrent chacun à la chaine Al-Jazeera une<br />
série d’entretiens pour narrer <strong>le</strong>ur expérience, l’audimat<br />
marocain « explosa ».<br />
Les locataires des lieux nous sont connus, par <strong>le</strong>s noms,<br />
<strong>le</strong>s parcours, <strong>le</strong>s famil<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> degré d’implications dans ce<br />
qu’on <strong>le</strong>ur reprochait, <strong>le</strong> numéro de cellu<strong>le</strong> de chacun et<br />
son emplacement par rapport aux autres. Pour <strong>le</strong>s morts,<br />
comment furent et <strong>le</strong> calvaire et <strong>le</strong>s derniers instants, et<br />
pour <strong>le</strong>s survivants, la vie après Tazmamart.<br />
Il y a d’abord <strong>le</strong>s militaires impliqués dans <strong>le</strong>s deux attentats<br />
contre la personne du roi, et qui furent condamnés<br />
en bonne et due forme par des tribunaux de circonstances.<br />
58 officiers et sous-officiers au juste, répartis<br />
en deux blocs de 29 cellu<strong>le</strong>s chacun. Ensuite, des « noirs<br />
africains », exactement seize (internés en 1978). On ne<br />
sait que peu de choses d’eux. Puis, il y avait <strong>le</strong>s trois frères<br />
Bouriquat (internés en 1981), victimes d’un « complot »<br />
fomenté contre eux par <strong>le</strong> général Dlimi. Enfin, un certain<br />
El Miloudi, un militaire (mort en 1980). Il ne voulait<br />
pas par<strong>le</strong>r de lui parce que, disait-il, « c’est justement <strong>le</strong><br />
bavardage qui m’a amené ici » (Marzouki, p. 128).<br />
Nous disposons aussi de renseignements sur <strong>le</strong>s geôliers,<br />
quelques uns par <strong>le</strong> nom, l’origine, <strong>le</strong> parcours… :<br />
« Curieusement, du moins à première vue, ni <strong>le</strong> directeur<br />
de la prison ni <strong>le</strong>s gardiens n’ont changé tout au long de<br />
notre calvaire, sauf décès ou exception jamais expliquée.<br />
On aurait pu croire, en effet, que ces hommes affectés à des<br />
tâches somme toute rebutantes, dans une région de surcroît<br />
inhospitalière, n’auraient d’autre envie que de quitter Tazmamart<br />
<strong>le</strong> plus vite possib<strong>le</strong>. Or, il n’en fut rien. Pour deux<br />
raisons essentiel<strong>le</strong>s. L’administration, bonne fil<strong>le</strong>, avait su<br />
trouver <strong>le</strong>s arguments financiers en doublant la solde de<br />
nos gardiens-militaires et en <strong>le</strong>ur accordant divers avantages…<br />
» (M. Marzouki, p. 79). Tous n’étaient pas démons.<br />
Quelques uns passaient pour des anges. Grâce à eux, <strong>le</strong>s<br />
prisonniers gardaient espoir. Au risque de devenir euxmêmes<br />
des emmurés, <strong>le</strong>s plus braves prirent des risques<br />
énormes. évoquant <strong>le</strong> souvenir de l’un d’eux, l’adjudantchef<br />
Larbi Louiz, Marzouki écrit : « Beaucoup d’entre nous<br />
doivent la vie à ce sous-officier… » (p. 91).<br />
A droite : Porte du cimetière à Tazmamart