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سكورة<br />
148 Skoura<br />
L’Enfermement, <strong>le</strong> Partage Lieux et mémoire<br />
149<br />
La Kasbah/prison de<br />
Skoura, vue de côté<br />
à l’origine, dar chaab était la demeure d’une grande famil<strong>le</strong><br />
loca<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s Aït Ch’ir, qui en héritaient de père en fils,<br />
et continuel<strong>le</strong>ment œuvraient à l’élargir, à renforcer ses<br />
fondements, à orner ses jardins d’arbres fruitiers… El<strong>le</strong><br />
faisait <strong>le</strong>ur fierté. Puis, arrivèrent <strong>le</strong>s Glaoua. Sitôt maîtres<br />
des lieux, ils dépossédèrent de force <strong>le</strong>s maîtres de la<br />
demeure de <strong>le</strong>urs biens, et s’y installèrent en maîtres absolus.<br />
Aussi grande et majestueuse qu’el<strong>le</strong> fut, la demeure<br />
manquait, aux yeux des Glaoua, d’espace « vital ». Ce fut<br />
chose faite aux dépens d’autres famil<strong>le</strong>s. Les récalcitrants<br />
furent tout bonnement matraqués, et durent rapidement<br />
renoncer à livrer batail<strong>le</strong>. On somma tous <strong>le</strong>s habitants<br />
de la région de participer à la corvée de rénovation et<br />
d’extension de la demeure. Les « anciens » de la palmeraie<br />
se souviennent encore de cette période, et que<br />
d’histoires narrent-ils au sujet de l’avidité des Glaoua,<br />
de <strong>le</strong>ur penchant pour l’extravagance, pour <strong>le</strong> sadisme<br />
col<strong>le</strong>ctif, pour la hogra… On exigeait de tel artisan de<br />
ramener <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain des poutres pour sou<strong>le</strong>ver une<br />
terrasse. Ne pouvant s’en procurer dans <strong>le</strong> commerce, il<br />
<strong>le</strong>s arracha de sa propre maison pour en faire don aux<br />
Glaoua. Tel autre artisan de circonstances fut battu devant<br />
ses collègues parce parce qu'incapab<strong>le</strong> d’assurer<br />
une tâche précise. Enfants et femmes se relayaient pour<br />
ramener l’eau indispensab<strong>le</strong> au chantier...<br />
Au <strong>le</strong>ndemain de l’indépendance, la demeure est<br />
convertie en une éco<strong>le</strong>. On y dispensa des cours pendant<br />
deux saisons. Dans sa biographie, Mohammed El-Oumari,<br />
poète en ses moments d’errance, relate <strong>le</strong>s effets heureux<br />
de cette parenthèse :« Convertir <strong>le</strong>s ksours des Glaoui en<br />
éco<strong>le</strong>s était effectivement une décision historique, un signe<br />
de l’ironie du sort. El<strong>le</strong> rendit justice à une population<br />
asservie pour <strong>le</strong> bon plaisir de bâtir grands… ». Puis, fut<br />
prise la décision de la fermer au grand dam des habitants<br />
de la palmeraie. Il fallut attendre 1983 pour qu’el<strong>le</strong><br />
reprenne du service, et tout naturel<strong>le</strong>ment, el<strong>le</strong> fut choisie<br />
comme lieu d’exercice de l’autorité incontrôlée. En cette<br />
année, <strong>le</strong> roi Hassan II était en visite dans la région, son<br />
cortège devait traverser Kalâat Megouna, et puisqu’il ne<br />
fallait point déranger <strong>le</strong>s regards de Sa majesté, on avait<br />
pensé uti<strong>le</strong> et intelligent de faire déloger <strong>le</strong>s internés de<br />
la Kalâat pour <strong>le</strong>s instal<strong>le</strong>r ail<strong>le</strong>urs, dans l’arrière-pays.<br />
On avait choisi à cet effet, ironiquement, dar chaab,<br />
qui pendant quelques semaines, connut une activité<br />
intense.<br />
Les membres du groupe Bnouhachem étaient de ceux<br />
qui en avaient fait <strong>le</strong>s frais. Transférés à Skoura dans des<br />
conditions déplorab<strong>le</strong>s, ils devaient y séjourner dix jours,<br />
pendant <strong>le</strong>squels ils étaient obligés de rester immobi<strong>le</strong>s,<br />
<strong>le</strong>s poignets attachés avec des ficel<strong>le</strong>s. Ils durent y cohabiter<br />
avec un groupe de prisonniers sahraouis, que <strong>le</strong>s<br />
geôliers ne ménageaient guère, en coups de bâtons et<br />
en insultes. Pis, <strong>le</strong>s embastillés étaient obligés de boire de<br />
l’eau polluée. Très vite, ses méfaits s’étaient fait sentir.