30 n°6 <strong>2010</strong>s’appuie sur ces catégories. Nous ne voulonspas faire une analyse pessimiste, passéiste oufolklorique <strong>de</strong> ces questions ; cela nuiraitconsidérablement à ce qui nous paraît le plusimportant <strong>et</strong> le plus intéressant, à savoir ledynamisme social créé par ces populations,rarement reconnu <strong>et</strong> trop souvent passé soussilence. Nous portons un intérêt personnel<strong>et</strong> scientifique à ces populations, mais nousne nous revendiquons en aucun casdéfenseurs ou porte-parole <strong><strong>de</strong>s</strong> Rroms - endépit <strong>de</strong> la légitimité scientifique à parler pourl’Autre qu’acquiert le chercheur. Nousvoudrions pour notre part interroger lesmultiples appellations <strong>et</strong> les processus <strong>de</strong>construction i<strong>de</strong>ntitaire <strong>de</strong> ces populations.Outil pour acquérir une certainelégitimité, <strong>et</strong> surtout une reconnaissanceinstitutionnelle, le terme générique <strong>de</strong>Rroms 2 apparaît fréquemment dans lesrecherches <strong>et</strong> dans les instancesreprésentatives, notamment à l’échelleeuropéenne <strong>et</strong> mondiale 3 . Les Rromsreprésentent un peuple sans territoire compact, quin'a jamais eu <strong>de</strong> revendications territoriales, maisqui est lié par une conscience i<strong>de</strong>ntitaire, une origine,une culture <strong>et</strong> une langue communes (La voix <strong><strong>de</strong>s</strong>Rroms). C’est donc <strong>de</strong>rrière l’expression« Rroms » spécifiquement orthographiéeavec <strong>de</strong>ux « r » qu’une partie <strong><strong>de</strong>s</strong> acteurs sereconnaissent <strong>et</strong> se rassemblent <strong>et</strong> ce,d’autant plus que le terme « Rroms »provient directement <strong>de</strong> leur langue. C’est2 Rrom signifie « homme », « époux », « mari » enrromani. Certains acteurs, parmi lesquels l’associationLa Voix <strong><strong>de</strong>s</strong> Rroms, revendiquent l’appellation« Rrom ». Ce terme renvoie à un peuple qui partageune origine commune - In<strong>de</strong> du Nord - une languecommune - le rromani - <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> traits culturelscommuns -organisation familiale, référencescommunes. Au fil <strong><strong>de</strong>s</strong> migrations, trois groupes seseraient formés : les Gitans ou Kalé dans la péninsuleIbérique, les Manouches ou Sinté en Europeocci<strong>de</strong>ntale (Allemagne, France, Gran<strong>de</strong>-Br<strong>et</strong>agne,Italie) <strong>et</strong> les Roms en Europe <strong>de</strong> l’Est. Lerromanipen (« la romanité ») est un concept dontl’utilisation est soutenue par les principaux défenseursrroms.3 Nous pouvons citer ici l’association “La Voix <strong><strong>de</strong>s</strong>Rroms” crée en 2005 ; l'Union Romani Internationale(IRU) ou bien encore les Nations Unies.pourquoi, nous utiliserons c<strong>et</strong>te expressionpour désigner l’ensemble <strong>de</strong> ces populationsbien qu’elle ne soit pas toujours significativepour l’i<strong>de</strong>ntification quotidienne <strong><strong>de</strong>s</strong> Gitans,Manouches, <strong>et</strong> Roms.Lors <strong>de</strong> nos rencontres avec lesRroms, la diversité <strong><strong>de</strong>s</strong> appellations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>catégories employées tant dans <strong><strong>de</strong>s</strong> écritsscientifiques que dans <strong><strong>de</strong>s</strong> situations <strong>de</strong>terrain, nous a conduites à nous poser laquestion : « Qu’est-ce qu’être Manouche,Gitan <strong>et</strong> Rom 4 ? »Processus d’i<strong>de</strong>ntification : élémentsproblématiquesOn ne peut faire l’économie <strong>de</strong> laquestion <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité car c’est à partir d’elleque se forment <strong>et</strong> évoluent les pratiques <strong>et</strong>les représentations sociales. Ainsi, les i<strong>de</strong>ntitésindividuelles <strong>et</strong> collectives, fruits d’élaborationssociales <strong>et</strong> culturelles, s’avèrent d’autant plus soli<strong><strong>de</strong>s</strong>qu’elles transitent par le langage matériel <strong>de</strong> l’espace,<strong>de</strong> ses lieux <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses territoires, y compris dans leursformes virtuelles (Di Méo, 2007, p. 2). Poser laquestion <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> ceux que l’onrencontre, c’est également prendre le risqued’entrer dans le champ <strong>de</strong> l’orientalismedéfini par Edward W. Said comme une visionpolitique <strong>de</strong> la réalité, dont la structure accentue ladifférence entre ce qui est familier : « Nous », <strong>et</strong> cequi est l’étranger : « Eux », les Rroms (Said,1980, p. 59). Il faut donc être vigilant à nepas réifier une réalité complexe, à ne pasfaire ressortir un trait particulier pour enfaire un élément structurant <strong>de</strong> la gestiondifférenciée <strong><strong>de</strong>s</strong> populations, à ne pas formerun savoir-pouvoir sur le groupe qu’il s’agit <strong>de</strong>porter à l’existence en tant que groupe qui estinséparablement un savoir-pouvoir <strong>de</strong> faire le groupeen lui imposant <strong><strong>de</strong>s</strong> principes <strong>de</strong> vision <strong>et</strong> <strong>de</strong> divisioncommuns, donc une vision unique <strong>de</strong> son i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong>une vision i<strong>de</strong>ntique <strong>de</strong> son unité (Bourdieu,1980, p. 141). Car l’i<strong>de</strong>ntité est en fait une4 Pour c<strong>et</strong> article, nous avons décidé <strong>de</strong> ne pas parler<strong><strong>de</strong>s</strong> Yéniches puisque l’origine commune, issue <strong><strong>de</strong>s</strong>migrations <strong>de</strong>puis l’In<strong>de</strong> du Nord, n’est pas reconnue.Par ailleurs, la localisation <strong>de</strong> nos terrains respectifsne nous a pas amenées à rencontrer c<strong>et</strong>te population.
n°6 <strong>2010</strong> 31combinaison <strong>de</strong> processus multiples,complexes <strong>et</strong> variables, qui fait l’obj<strong>et</strong> <strong>de</strong>multiples recherches. Le structuralisme ad’abord pensé l’i<strong>de</strong>ntité pour penser lerapport entre le singulier <strong>et</strong> l’universel.Pourtant, <strong>de</strong>puis la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1960 5 , leproblème n’est plus <strong>de</strong> s’interroger sur ladéfinition <strong>de</strong> ‘‘l’i<strong>de</strong>ntité’’ dans les différentes‘‘cultures’’, mais d’étudier les pratiques concrètes <strong>et</strong>les techniques d’i<strong>de</strong>ntification (…), en lesenvisageant comme <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong> pouvoir m<strong>et</strong>tanten contact les individus qui ont le moyen <strong>de</strong> définirl’i<strong>de</strong>ntité <strong><strong>de</strong>s</strong> autres <strong>et</strong> ceux qui sont les obj<strong>et</strong>s <strong>de</strong>leurs entreprises (Noiriel, 2007, p. 5). Notrepropos s’inscrit dans ce champ d’analyse :nous ne voulons pas créer une catégorie <strong>de</strong>pensée – les Rroms – qui nierait lesdimensions multiples <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité. Mais il nenous semble pas non plus que l’analyse <strong><strong>de</strong>s</strong>processus d’i<strong>de</strong>ntification opposent ceux quidéfinissent <strong>et</strong> ceux qui sont définis.L’i<strong>de</strong>ntité se construit dans <strong><strong>de</strong>s</strong> relations <strong>de</strong>pouvoir qui ne sont en aucun cas univoques.La question qui se pose est alors la suivante :comment conserver la richesse <strong><strong>de</strong>s</strong>expériences <strong>de</strong> vie sans pour autant nier lessentiments d’appartenance à un groupecommun ? Il s’agit d’interroger lesreprésentations <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te i<strong>de</strong>ntité rrom, <strong>et</strong> <strong>de</strong>voir quelle importance elles ont pour lesacteurs, en les replaçant dans les discours quiles produisent, puisque la catégorisation est uneactivité exercée par <strong>de</strong> nombreuses instances, dont lespouvoirs d’assignation sont variables, <strong>et</strong> qui s<strong>et</strong>raduit par une mise en forme plus ou moinscontraignante <strong>et</strong> aboutie <strong><strong>de</strong>s</strong> i<strong>de</strong>ntités collectives(Martiniello, Simon, 2005, p. 8). Malgré lepoids <strong><strong>de</strong>s</strong> i<strong>de</strong>ntifications externes qui figentles i<strong>de</strong>ntités, les processus <strong>de</strong> différenciation<strong>et</strong> d’affiliation internes s’émancipent <strong>de</strong> cescatégories artificielles, en prenant appui surcelles-ci. C’est en ce sens qu’on parlera <strong>de</strong>processus <strong>de</strong> subjectivation : [la logique <strong><strong>de</strong>s</strong>ubjectivation] n’est jamais la simple affirmationd’une i<strong>de</strong>ntité elle est toujours en même temps le déni5 Une nouvelle génération <strong>de</strong> philosophes, parmilesquels on peut citer Jacques Derrida, MichelFoucault ou Gilles Deleuze rej<strong>et</strong>tent la définitionréifiée <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntité pour privilégier une approche entermes <strong>de</strong> relations <strong>de</strong> pouvoir.d’une i<strong>de</strong>ntité, imposée par un autre, fixée par lalogique policière. La police veut en eff<strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> noms“exacts” qui marquent l’assignation <strong><strong>de</strong>s</strong> gens à leurplace [...]. La subjectivation comporte toujours unei<strong>de</strong>ntification impossible (Rancière, 1998, p.121). La logique <strong>de</strong> subjectivation représentealors une re-création perpétuelle <strong><strong>de</strong>s</strong>processus i<strong>de</strong>ntitaires en s’appuyant surl’usage <strong>de</strong> référents multiples, en vue d’uneré-appropriation <strong><strong>de</strong>s</strong> catégories assignées. Aucontraire, les processus d’i<strong>de</strong>ntification isolentcertains éléments - pertinents pour la gestion<strong><strong>de</strong>s</strong> populations - <strong>et</strong> les érigent encaractéristiques essentielles <strong>de</strong> l’i<strong>de</strong>ntitéRrom. Par exemple la catégorieadministrative « Gens du Voyage » s’appuiesur la seule mobilité, oubliant la complexité<strong>et</strong> la variabilité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te pratique.Mal nommer les choses, c’est ajouter aumalheur <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes (René Char)Interroger les processus d’i<strong>de</strong>ntificationne peut s’envisager sans un r<strong>et</strong>ouraux catégories existantes : comment parvenir àtraiter une question relative à ces groupes sans avoirpréalablement définit, <strong>de</strong> qui on parle ? (Robert,2007, p. 55).Longtemps, le terme « tsigane » aprévalu, pour désigner <strong><strong>de</strong>s</strong> populationsvenues <strong>de</strong> l’In<strong>de</strong> <strong>et</strong> présentant un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>vie itinérant. Pourtant, comme nous l’avonsspécifié précé<strong>de</strong>mment, les généralisationsi<strong>de</strong>ntitaires sont réductrices <strong>et</strong> le concepttsigane tend à réunir dans une même construction <strong><strong>de</strong>s</strong>individus organisés en groupes familiaux structurésqu’une histoire spécifique, <strong><strong>de</strong>s</strong> liens culturels étroits <strong>et</strong>un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie caractérisé par le nomadismeperm<strong>et</strong>tent d’i<strong>de</strong>ntifier. … La définition“tsigane” ne rend pas plus compte <strong>de</strong> la réalitésociale “<strong><strong>de</strong>s</strong>” Tsiganes, <strong>de</strong> ses modalités <strong>et</strong> <strong>de</strong> sadiversité, que la définition “gadjo” ne peut ai<strong>de</strong>r à lacompréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements <strong><strong>de</strong>s</strong> populationssé<strong>de</strong>ntaires (Humeau, 1995, p.16-17). Cela estd’autant plus vrai que le mot « Tsigane » estcomplètement extérieur au parler <strong>de</strong> ceuxque l’on désigne ainsi. Il renvoie à la secte<strong><strong>de</strong>s</strong> Atsiganoi, secte installée dans l’Empirebyzantin bien avant l’arrivée <strong><strong>de</strong>s</strong> Rroms, <strong>et</strong>
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