58 n°6 <strong>2010</strong>qu'une pratique, elle fédère un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie<strong>et</strong> un état social. L'arrêt <strong>de</strong> la mobilité neréinterroge pas les sentimentsd'appartenance <strong>et</strong> d'attache au groupe« Voyageurs ». De par les discours <strong><strong>de</strong>s</strong>acteurs, elle s'érige en équilibre social.Une circulation légiférée,un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie attaquéUn paradoxe existe dans les sociétéssé<strong>de</strong>ntaires qui sont amenées à gérer <strong><strong>de</strong>s</strong>populations dont la mobilité est le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>vie. D'un côté, la circulation d'une partie <strong>de</strong>la population, qui en a fait son quotidien,dérange ; d'un autre côté, le contexteéconomique actuel, en parallèle audéveloppement <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés, appellent lescitoyens à élargir leur potentiel mobile. Bienque c<strong>et</strong>te mobilité contemporaine ne puisses’apparenter à celle <strong><strong>de</strong>s</strong> premiers(Knafou, 1998 : 12), elle témoigne <strong>de</strong>l’évolution <strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques circulatoires, tantdans leurs formes que dans leur nombre. Sile mouvement est aujourd'hui considérécomme une capacité d'adaptation, celui-ci estremis en cause quand il organise un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>vie. C'est le cas <strong>de</strong> la population <strong><strong>de</strong>s</strong> gens duvoyage. Je prendrai l'exemple <strong>de</strong> la Francedans sa manière d'élaborer <strong><strong>de</strong>s</strong> lois, mises enapplication par la suite à <strong><strong>de</strong>s</strong> échellesd'intervention plus gran<strong><strong>de</strong>s</strong> : je l'illustreraipar un travail <strong>de</strong> terrain effectué dans larégion Poitou-Charentes dans le cadre <strong>de</strong> mathèse 2 . Les comportements <strong>et</strong> les pratiques<strong><strong>de</strong>s</strong> gens du voyage développés en réponse àces recommandations, feront l'obj<strong>et</strong> d'uneattention particulière.Le contexte répressif envers lespopulations noma<strong><strong>de</strong>s</strong> s'installe véritablementpar <strong><strong>de</strong>s</strong> mesures concrètes pendant lasecon<strong>de</strong> moitié du 19ème siècle. Mais c'est2Céline Bergeon : Rroms <strong>et</strong> Voyageurs: pratiquescirculatoires <strong>et</strong> attaches territoriales au miroir <strong><strong>de</strong>s</strong> politiquespubliques <strong>de</strong> stationnement <strong>et</strong> <strong>de</strong> circulation : l’exemple <strong><strong>de</strong>s</strong>Rroms du Poitou-Charentes (France) <strong>et</strong> <strong>de</strong> la région Wallonne(Belgique). Thèse <strong>de</strong> Doctorat en cours.au cours du siècle suivant, que les texteslégislatifs se succè<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> instaurent lenoma<strong>de</strong> dans un statut <strong>et</strong> un cadre juridiquespécifique (Robert, 2007 : 122). Ces textesconcernent principalement les modalitésselon lesquelles la circulation doit êtrepratiquée <strong>et</strong> les conditions d'exercice <strong><strong>de</strong>s</strong>activités économiques ambulantes, connexesau mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie circulant. La loi du 16 juill<strong>et</strong>1912 instaure le « carn<strong>et</strong> anthropométrique »,document qui <strong>de</strong>vait être possédé parchaque personne en habitat mobile <strong>et</strong> nejustifiant d’aucun revenu fixe. Un visa àchaque départ <strong>et</strong> à chaque arrivée dans lescommunes <strong>de</strong>vaient y être apposé par lesforces <strong>de</strong> l’ordre. A cela s’ajoute une<strong>de</strong>man<strong>de</strong> d’autorisation journalière pourstationner dans la commune Chaque jour, lesfamilles noma<strong><strong>de</strong>s</strong> doivent obtenir l’autorisation <strong><strong>de</strong>s</strong>tationner pendant vingt-quatre heures en un lieudésigné par les autorités communales (Humeau,1995 : 65). Une pério<strong>de</strong> « d'itinérancesurveillée » débute. La mobilité, appréhendéecomme <strong>de</strong> l'errance à c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong>, étaitconsidérée comme un manque, à tout lemoins, comme une pratique dangereuse. Dèslors, la société d’accueil les a qualifié <strong>de</strong>populations indésirables notamment parl’illégalité <strong>de</strong> leur mobilité, associée auvagabondage (Blum Le Coat ; Catarino ;Quiminal, 2004 : 159). La loi <strong>de</strong> 1912 estabrogée suite à la mise en application <strong>de</strong>celle du 03 janvier 1969. Les carn<strong>et</strong>santhropométriques sont supprimés,cependant, les Voyageurs doivent avoir enleur possession un titre <strong>de</strong> circulation. Il enexiste trois versions différentes : le livr<strong>et</strong> <strong>de</strong>circulation, attribué aux sans domicile fixe<strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> six mois, qui vivent <strong>de</strong> façonpermanente dans une habitation mobile <strong>et</strong>qui disposent <strong>de</strong> ressources régulières ; lelivr<strong>et</strong> spécial <strong>de</strong> circulation octroyé auxsans domicile fixe <strong>de</strong>puis plus <strong>de</strong> six mois,qui exercent une activité professionnelleambulante avec une inscription au registredu commerce ; <strong>et</strong> enfin le carn<strong>et</strong> <strong>de</strong>circulation qui est attribué aux sansdomicile fixe qui vivent <strong>de</strong> façonpermanente dans une habitation mobile <strong>et</strong>qui ne justifient d'aucune ressource
n°6 <strong>2010</strong> 59financière fixe. L'encadrement <strong>de</strong> lacirculation se fait par conséquent parl'attribution d'un titre <strong>de</strong> transport, lequeldoit être visé tous les trois mois par uneinstance aux pouvoirs délégués telle que lagendarmerie. Le statut actuel <strong><strong>de</strong>s</strong> gens duvoyage en France est donc cadré par la loi du03 janvier 1969 qui les oblige à possé<strong>de</strong>r undocument officiel attestant <strong>de</strong> leur « nonsé<strong>de</strong>ntarité». L'instauration <strong>de</strong> ces titres <strong>de</strong>circulation a été une mesure spécifique miseen place pour contrôler au mieux c<strong>et</strong>tepopulation au sein <strong>de</strong> l'espace national. Ellereste discriminatoire malgré l’abandon ducarn<strong>et</strong> anthropométrique (Robert, 2007 :125). Ces documents sous-enten<strong>de</strong>ntégalement un contrôle plus systématique <strong><strong>de</strong>s</strong>ressources financières <strong><strong>de</strong>s</strong> Voyageurs. Enparallèle à ce dispositif, toute <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong>titre <strong>de</strong> circulation doit être accompagnéed'une <strong>de</strong>man<strong>de</strong> <strong>de</strong> rattachement communal,qui décrit <strong>de</strong> façon insidieuse une « pseudosé<strong>de</strong>ntarité» où le législateur crée <strong>de</strong>l'inscription territoriale officielle afin <strong>de</strong>pallier la nomadité <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes <strong>de</strong> gens duvoyage. A chaque fois, la problématique est lamême : il s'agit <strong>de</strong> limiter leurs déplacements pourmieux les contrôler, <strong>de</strong> nier les réalités <strong>de</strong> la vienoma<strong>de</strong>, <strong>et</strong> <strong>de</strong> tenter <strong>de</strong> la faire « coller » avec lesfonctionnements <strong>de</strong> la vie sé<strong>de</strong>ntaire (Carrère,Daadouch, 2000).Enfin, la loi <strong>de</strong> 2000, dite loi Besson IIinstaure <strong><strong>de</strong>s</strong> aires officielles <strong><strong>de</strong>s</strong>tationnement. Les communes <strong>de</strong> plus <strong>de</strong>5000 habitants doivent se doter d'espaces <strong><strong>de</strong>s</strong>tationnement conformes pour l'accueil <strong><strong>de</strong>s</strong>populations circulantes. Dans un mêm<strong>et</strong>emps, les Voyageurs sont dans l'obligation<strong>de</strong> s'arrêter dans ces lieux sous peined'expulsion <strong>et</strong> <strong>de</strong> poursuites. La créationd'un dispositif d'accueil procure ainsi auxmaires <strong><strong>de</strong>s</strong> communes un pouvoir <strong>de</strong>refoulement. Au 31 décembre 2007, soit septans après promulgation <strong>de</strong> la loi, seulement32 % <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces <strong>de</strong> stationnement, prévuspar l'ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> schémas départementauxest réalisé (Hérisson, 2008). Obligation <strong><strong>de</strong>s</strong>tationnement <strong>et</strong> pénurie d'espaces d'accueilrythment donc le quotidien <strong><strong>de</strong>s</strong> familles <strong>de</strong>gens du voyage en France qui doiventcomposer entre une circulation balisée,imposée par la société <strong>et</strong> une circulationpensée <strong>et</strong> organisée en termes <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong>vie. Les enjeux sont opposés : le législateursouhaite contrôler une minorité dont lamobilité est considérée comme suspicieuse.A l’opposé, les Voyageurs désirent perpétuerleur circulation, véritable équilibre socioéconomique<strong>et</strong> psychologique. En eff<strong>et</strong>, legroupe <strong>et</strong> le voyage sont <strong>de</strong>ux élémentsparticulièrement liés <strong>et</strong> offrent une certainesécurité à ceux qui en font partis (Formoso,1987 : 192). Bien plus qu'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> vie,c'est l'ensemble <strong><strong>de</strong>s</strong> savoirs faire qui sontaujourd'hui soumis à l'évolution. Le « savoircirculer » <strong>de</strong>vient orienté, le savoir faireprofessionnel lié à l'itinérance estfondamentalement modifié, la transmissioninter-générationnelle est réinterrogée <strong>et</strong>implicitement la reproduction <strong>de</strong> lacirculation est remise en cause.Quelles répercussions sur la circulation ?Il serait aisé <strong>de</strong> considérer que lesespaces <strong>de</strong> stationnement sont crées dans lebut d'offrir <strong><strong>de</strong>s</strong> conditions décentes auxVoyageurs pour leur arrêt. C'est pourtant un<strong><strong>de</strong>s</strong> objectifs premiers <strong>de</strong> la loi Besson.Néanmoins, sa non-application (32 % <strong><strong>de</strong>s</strong>aires d'accueil réalisé en 2007), sous-entendque le désintérêt relève d'une autreproblématique. Le manque d'espaces <strong><strong>de</strong>s</strong>tationnement engendre <strong><strong>de</strong>s</strong> problèmespuisque les Voyageurs sont obligés <strong><strong>de</strong>s</strong>'arrêter sur <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces qui n'existent pas.Dans un même temps, lorsque ces lieuxexistent, leur localisation ne correspond pasforcément aux parcours <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes. C'estainsi que certaines aires d'accueil sont surfréquentées<strong>et</strong> d'autres délaissées. Le seuil<strong><strong>de</strong>s</strong> 5000 habitants pour la création <strong>de</strong> lieux<strong>de</strong> halte relève d'un choix arbitraire <strong>de</strong> lapart <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions. Cependant, l'obligation<strong>de</strong> stationnement sur <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces i<strong>de</strong>ntifiéspousse certaines familles à désinvestir leslieux initiaux du parcours dans lesquels lesréseaux économiques <strong>et</strong> sociaux sont déjàétablis. Par ailleurs, une présence trop
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