48 n°6 <strong>2010</strong><strong>de</strong> santé, alors même que le SIDA, lié à <strong>de</strong>fortes consommation d’héroïne injectée,décimerait <strong><strong>de</strong>s</strong> clans gitans. Nous désirionsdonc comprendre comment ces Tsiganes,sé<strong>de</strong>ntaires ou noma<strong><strong>de</strong>s</strong>, m<strong>et</strong>tent en œuvre<strong><strong>de</strong>s</strong> ressources <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> stratégies nouvelles àmême <strong>de</strong> faciliter leur accès aux institutionsmédicales ou bien sombrent dans l’épidémie,condamnés par une forte extérioritéd’étrangers aux lieux, aux hommes, auxinstitutions qui les entourent ; en somme,qui, parmi ces étrangers <strong>de</strong> l’intérieur, cesirréductibles communautaires, peutrenégocier l’archaïsme ou la mo<strong>de</strong>rnité <strong><strong>de</strong>s</strong>es comportements sociaux dans la situation<strong>de</strong> plus grand danger collectif. Une telleapproche nécessitait une <strong><strong>de</strong>s</strong>cription <strong><strong>de</strong>s</strong>mo<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong>de</strong> territorialisation <strong>de</strong> cespopulations, une connaissance <strong>de</strong> l’ « univers<strong><strong>de</strong>s</strong> pathologies » caractérisant leurs rapportsaux institutions <strong>de</strong> soins, <strong>et</strong> enfin unecompréhension <strong><strong>de</strong>s</strong> comportements développés<strong>de</strong>vant c<strong>et</strong>te maladie, le SIDA.Etrangers dans les villes, les régions,les nations où ils <strong>de</strong>meurent, en Europe, lesTsiganes signalent pour bientôt une limiteinterne au développement <strong><strong>de</strong>s</strong> proximités quiperm<strong>et</strong>tront <strong>de</strong> réaliser c<strong>et</strong>te entité politique,sociale <strong>et</strong> économique vers laquelle noustendons : étrangers <strong>de</strong> partout, leur unité dunord au sud <strong>et</strong> <strong>de</strong> l’est à l’ouest <strong>de</strong> l’Europeest paradoxalement plus facile à réaliser quecelle <strong><strong>de</strong>s</strong> nations <strong>et</strong>, paradoxalement encore,risque <strong>de</strong> les placer en situation massived’extranéité : le peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> extrêmes lisières,<strong><strong>de</strong>s</strong> mobilités discrètes, cachées même, maisintenses apparaissant au cœur <strong><strong>de</strong>s</strong> espacesd’une Europe <strong><strong>de</strong>s</strong> sé<strong>de</strong>ntaires longue àdépasser ses repliements nationaux. C<strong>et</strong>teEurope pourrait bientôt trouver en ellemêmeun vaste peuple, transversal à toutesses frontières, étranger dans ses espaces, nonpoint un peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> réserves comme auxÉtats-Unis, mais un peuple <strong><strong>de</strong>s</strong> contours, <strong><strong>de</strong>s</strong>entours, <strong><strong>de</strong>s</strong> multiples <strong>et</strong> multiformespériphéries <strong>de</strong> ses campagnes <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> sesvilles : six ou sept siècles d’extranéitéslocalement dissimulées, contrôlées,maîtrisées, pourraient bien enfanter lapremière configuration sociale transfrontalièreeuropéenne.Le vieux stigmate du voleur <strong>de</strong> poules<strong>et</strong> d’enfants se ré-exprime dans la nouvelledésignation du Tsigane trafiquant <strong>et</strong>consommateur <strong>de</strong> drogues, porteur du VIH,cause <strong>de</strong> sa propre extermination : c’estprécisément sur ce phénomène <strong>de</strong> mortannoncée, <strong>de</strong> plus gran<strong>de</strong> distance actuelleaux sociétaires, que nous avons essayé <strong>de</strong>comprendre les ressources que son ancestralstatut d’étranger <strong>de</strong> l’intérieur lui perm<strong>et</strong> <strong>de</strong>m<strong>et</strong>tre en œuvre. Ce texte n’est donc pasœuvre <strong>de</strong> tsiganologie, même si il se nourrit<strong>de</strong> recherches entreprises par <strong><strong>de</strong>s</strong><strong>et</strong>hnologues spécialistes <strong>de</strong> ces populations.Notre démarche vise à i<strong>de</strong>ntifier lesinterfaces, les interactions, les mixités, quel’urgence déclenche en matière <strong>de</strong> santé. Ilne s’agit pas davantage d’une rechercheépidémiologique stricte, même si bien <strong><strong>de</strong>s</strong>résultats <strong>de</strong> nos travaux peuvent contribuer àla construction d’une telle démarche enmilieu tsigane. La santé est l’occasion d’unemeilleure connaissance <strong><strong>de</strong>s</strong> savoir fairecollectifs <strong><strong>de</strong>s</strong> étrangers <strong>de</strong> l’intérieur.Une construction sociale <strong>de</strong> l’Étranger<strong>de</strong> l’intérieur nécessaire aux gran<strong><strong>de</strong>s</strong>phases <strong>de</strong> transformation historique ?Les «étrangers <strong>de</strong> l'intérieur» sontdésignés <strong>de</strong>puis fort longtemps dans nossociétés : ils ont , lors <strong><strong>de</strong>s</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong> phases <strong>de</strong>changement sociétal, nolens volens, occupé <strong><strong>de</strong>s</strong>rôles <strong>de</strong> premier plan dans le développementéconomique <strong>et</strong> culturel <strong>de</strong> sociétésrelativement figées dans leurs universnormatifs, dans leurs limites territoriales.Ainsi en fut-il <strong><strong>de</strong>s</strong> métèques <strong>et</strong> apatri<strong><strong>de</strong>s</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>cités hellènes dans la Grèce Antique, quiessaimèrent à partir <strong><strong>de</strong>s</strong> espaces clos qui leurétaient concédés dans les Cités vers lepourtour méditerranéen. A partir duXVIème siècle, les Marranes, Juifs proches<strong><strong>de</strong>s</strong> Maures, d'apparence convertis aucatholicisme, contribuèrent par leurscirculations <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> jeux d’exclusion /inclusion sociales <strong>et</strong> économiques complexes
n°6 <strong>2010</strong> 49à la gran<strong>de</strong> transformation <strong><strong>de</strong>s</strong> idées <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong>économies favorables à la Renaissance. LesTsiganes, eux, arrivèrent en Europe à partirdu XIVème siècle, se répartirent dans laplupart <strong><strong>de</strong>s</strong> sociétés méditerranéennes, dontils adoptèrent la langue, se différenciant ainsien plusieurs branches, mais conservèrentune coutume unique. En Espagne, à partir<strong>de</strong> leur arrivée, leur <strong><strong>de</strong>s</strong>tin se confondit aveccelui <strong><strong>de</strong>s</strong> Juifs, puis <strong><strong>de</strong>s</strong> Marranes. Etrangers<strong>de</strong> l’intérieur, ils le <strong>de</strong>meurent toujours,ségrégés, pourchassés, <strong>et</strong>, en France ilsignorèrent les opportunités que leurperm<strong>et</strong>tait la Révolution par les décr<strong>et</strong>sd’octobre 1791 sur l’incorporation <strong><strong>de</strong>s</strong>communautés : ils n’entreprirent jamais <strong><strong>de</strong>s</strong>négociations avec l’Etat comme ce fut le caspour les Juifs au XIXème siècle. Pour lesTsiganes, le fait communautaire n’a jamaiscessé <strong>de</strong> s’opposer au marquage sociétaire<strong><strong>de</strong>s</strong> populations qui les entouraient : lesdiverses « mo<strong>de</strong>rnisations politiques » ne lesont jamais concernés. Les Tsiganesappartiennent-ils à ces populationsd’étrangers <strong>de</strong> l’intérieur qui ont pour rôle <strong>de</strong>dévoiler, en le grossissant, <strong>de</strong> former, enmanifestant leur réalité amnésiée, nos <strong><strong>de</strong>s</strong>tinscollectifs ? Ces étrangers font-ils nécessiténouvelle pour nous tous, <strong>et</strong> comment ce<strong><strong>de</strong>s</strong>tin nouveau est-il lisible dans la profon<strong>de</strong>crise qui engage aujourd’hui leur survie ?Les étrangers <strong>de</strong> « l’extérieur » <strong>et</strong> <strong>de</strong>« l’intérieur » fusionnent, dans l’espace <strong>de</strong>nos villes, <strong>et</strong> partagent rej<strong>et</strong>s <strong>et</strong>stigmatisations, mais encore agissent,transgressent les co<strong><strong>de</strong>s</strong> formels <strong><strong>de</strong>s</strong>dépendances <strong>de</strong> la pauvr<strong>et</strong>é, par le travail aunoir, par l’expansion <strong><strong>de</strong>s</strong> économiessouterraines <strong>de</strong> produits d’usage licite ouillicite. Ils contournent les vieuxcloisonnements, les différences <strong>de</strong> normes,par leur fluidité, faite <strong>de</strong> mobilités spatiales,d’ouvertures culturelles <strong>et</strong> éthiques originalespar les accords <strong>de</strong> parole qui caractérisentces échanges. Les Tsiganes sont présentsdans ces arrangements <strong>et</strong> peut-être leurincontournable réalité transnationale dansune Europe qui redéfinit ses frontièresimposera-t-elle leur rôle d’acteurs nouveaux.Errances, nomadismes, sé<strong>de</strong>ntarités :les réseaux tsiganesL'axe <strong><strong>de</strong>s</strong> circulations tsiganes enfaça<strong>de</strong> méditerranéenne apparaît comm<strong>et</strong>errain opportun pour nos investigations,tant il est signalé par les chercheurs, lestravailleurs sociaux, les responsablesmédicaux : sa partie catalane en particulier,par la complexité <strong><strong>de</strong>s</strong> définitions <strong><strong>de</strong>s</strong> Etatsqui la gèrent, <strong>et</strong> donc <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières quiperm<strong>et</strong>tent audaces <strong>et</strong> subtilités pour lescontournements qu’exigent les initiatives quenous voulons évoquer, s’est révélée d’unintérêt majeur pour notre recherche. Desvilles moyennes 2 <strong>et</strong> <strong><strong>de</strong>s</strong> quartiers <strong>de</strong> gran<strong><strong>de</strong>s</strong>villes ont particulièrement r<strong>et</strong>enu notreattention car la mixité, la proximité, d'unepart entre populations étrangères d’originesdiverses, tsiganes ou non, <strong>et</strong> d’autre partentre celles-ci <strong>et</strong> les populations indigènes,<strong>de</strong> jeunes surtout, y est importante <strong>et</strong> source<strong>de</strong> nouvelles sociabilités, <strong>de</strong> nouveauxcomportements collectifs dans l'espacepublic. Ainsi prennent forme <strong>de</strong> nouvellessolidarités dans un contexte marqué par unegran<strong>de</strong> distance aux dispositifs <strong>et</strong> auxrationalités <strong>de</strong> l’Etat. Corrélativements’exprime dans les rapports sociaux les plususuels une forte montée <strong><strong>de</strong>s</strong> rej<strong>et</strong>sxénophobes, clairement lisible dans lesvotes, instituée en quelque sorte par laliberté démocratiquement consentied’exprimer dans l’acte essentiel <strong>de</strong>citoyenn<strong>et</strong>é ces rej<strong>et</strong>s <strong>et</strong> haines, qui eux aussiamalgament étrangers <strong>et</strong> populationsindigènes marginalisées.C<strong>et</strong>te situation caractérise l’ensemble<strong><strong>de</strong>s</strong> villes que nous avons choisies pour fair<strong>et</strong>errain le long <strong>de</strong> l’axe <strong><strong>de</strong>s</strong> circulationstsiganes entre Barcelone <strong>et</strong> Gênes <strong>et</strong> Turin :dans ces villes, l’Autre le plus stigmatisé estle Gitan, Tsigane <strong><strong>de</strong>s</strong> contours2 Barcelone, Gérone, Perpignan, Toulouse,Narbonne, Montpellier, Nîmes, Arles, Martigues,Marseille, Toulon, Nice, Gênes, Turin dans unpremier temps pour évaluer les populationstsiganes présentes <strong>et</strong> leurs mobilités.
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