66 n°6 <strong>2010</strong>Cossec. C<strong>et</strong>te rencontre a donné naissance àun récit <strong>de</strong>venu le mythe du « Réveiltzigane ». Le pentecôtisme est unmouvement revivaliste, c’est-à-dire qu’il sesitue dans le temps <strong>et</strong> l’espace par un récitqui marque sa genèse dans la mémoire d’unepopulation. Pour les tsiganes, <strong>et</strong> enparticulier pour les manouches <strong>de</strong> l’Ouest, cerécit se situait à Lisieux en Normandie <strong>et</strong> àBrest en Br<strong>et</strong>agne, en 1950. En effectuantnotre recherche dans la région <strong>de</strong> Brest,nous étions alors dans le berceau du « Réveilpentecôtiste tzigane ». Ces premiersconvertis furent très rapi<strong>de</strong>ment rejoints pard’autres.Très tôt, pour renforcer <strong>et</strong> accélérer ladiffusion du pentecôtisme parmi les tsiganes,Clément Le Cossec forma <strong><strong>de</strong>s</strong> cadres. Dansla revue spécialisée Etu<strong><strong>de</strong>s</strong> Tsiganes, revuerassemblant <strong>de</strong> nombreux spécialistes <strong>de</strong> laquestion tsigane en sciences humaines, cepasteur avait pu expliquer c<strong>et</strong>te nécessité<strong>de</strong> former <strong><strong>de</strong>s</strong> cadres pour pérenniser sonentreprise <strong>de</strong> conversion (Laurent, 2008) :Dans son livre Route <strong>de</strong> Gitanie, l’abbéBarthélémy (1982) reconnaît que le Mouvement"pentecôtiste" tzigane est doté <strong>de</strong> "cadres bienformés" (…). Mon premier souci fut en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>former les cadres, d’instituer <strong><strong>de</strong>s</strong> "anciens", commel’apôtre Saint-Paul le faisait <strong>et</strong> recommandait à Tite<strong>de</strong> le faire (Le Cossec, 1985).Clément le Cossec a aussitôt recrutéparmi les premiers convertis <strong><strong>de</strong>s</strong> hommescapables <strong>de</strong> diffuser le pentecôtisme parmiles tsiganes :- Y’a-t-il parmi vous <strong><strong>de</strong>s</strong> hommes qui veulentservir le Seigneur <strong>et</strong> être responsables <strong><strong>de</strong>s</strong> réunions <strong>de</strong>prière <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes ?- Quatre se lèvent. (…) Mandz, Tutur,Pinar, Carlo.- Je les établis comme conducteurs spirituels <strong>et</strong>je m’engage à leur venir en ai<strong>de</strong>. (…) (Le Cossec,1991).Ces quatre manouches vont <strong>de</strong>venirles premiers conducteurs spirituels. Clément LeCossec les forma « sur le tas » comme entémoigne un tsigane <strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne :Le Cossec, c’est lui qu’a mis tout en œuvre,premièrement. Donc lui a commencé à nous donner<strong><strong>de</strong>s</strong> cours. C’était chez lui. 47 rue du (...) à Rennes,dans sa maison. On se m<strong>et</strong>tait en haut. Il nousenseignait. Il nous faisait connaître la Bible. Aprèsil y a eu d’autres, Osborn 2 (Fath, 2005, 185), unaméricain aussi qui nous a enseigné beaucoup, quinous a appris. Et puis il y’a eu <strong><strong>de</strong>s</strong> écoles bibliquesoù certains jeunes ont pu être envoyés. (…)Ces premiers convertis ne savaientgénéralement pas lire. C’est donc oralementque Clément Le Cossec enseigna lespremiers rudiments nécessaires à cesnouveaux prédicateurs. Il n’empêcha pas lestsiganes d’utiliser leur propre langue, bien aucontraire. Pour diffuser le pentecôtisme au<strong>de</strong>làmême <strong><strong>de</strong>s</strong> frontières françaises, pouraméliorer les mécanismes <strong>de</strong> conversion <strong><strong>de</strong>s</strong>Tsiganes, Clément Le Cossec joua sur unecombinaison entre les affinités linguistiques<strong>et</strong> « <strong>et</strong>hniques » transfrontalières <strong>et</strong> lepragmatisme <strong>de</strong> conversion dupentecôtisme : Le peuple tzigane, quoiqueadoptant la nationalité <strong><strong>de</strong>s</strong> pays dans lesquels ilsvivent, constitue un peuple au <strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong><strong>de</strong>s</strong> nations àl’exemple du peuple d’Israël, avec c<strong>et</strong>te seuledifférence, à savoir qu’ils ne possè<strong>de</strong>nt pas commeIsraël un pays promis. Quand un tzigane françaisrencontre un tzigane allemand, ils parlent la mêmelangue, <strong>et</strong> ce ne sont pas un français <strong>et</strong> un allemandqui conversent, mais <strong>de</strong>ux tziganes. Leur origineraciale est plus forte que leur nationalité. 3Les experts gadjé, c’est-à-dire leshommes <strong>et</strong> les femmes qui ont contribué à ladiffusion du pentecôtisme parmi lesTsiganes, n’hésitèrent pas dans leur discoursà comparer les Tsiganes au peuple juif,naturalisant ainsi leur condition. En parlant<strong>de</strong> « leur origine raciale », Clément Le Cossecdémontre un essentialisme indéniable dansson mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> propagan<strong>de</strong>. Les experts gadjé,2 T. L. Osborn faisait encore une tournée en Franceen 20<strong>06</strong> attirant les commentaires <strong><strong>de</strong>s</strong> journalistesdans <strong><strong>de</strong>s</strong> quotidiens comme Le Mon<strong>de</strong> (« Un gourouévangéliste à Paris », 29 août 20<strong>06</strong>) ou Le Figaro (« Le"pasteur miracle" américain attire en masse lesévangéliques », 28 août 20<strong>06</strong>).3 Revue <strong>de</strong> la Mission Évangélique Tzigane <strong>de</strong>France : Vie <strong>et</strong> Lumière, N° 13 – 1963, p. 28.
n°6 <strong>2010</strong> 67ont constitué une mémoire à partir, pourraitnous dire Danièle Hervieu Léger (1993), dustock <strong><strong>de</strong>s</strong> traditions religieuses (pour le récit duRéveil par exemple), <strong><strong>de</strong>s</strong> ressources offertes parl'histoire (le traumatisme <strong>de</strong> la guerre, lespersécutions <strong><strong>de</strong>s</strong> tsiganes), <strong><strong>de</strong>s</strong> ressourcesoffertes par la culture profane (la culture <strong><strong>de</strong>s</strong>Tsiganes, les origines indiennes, <strong>et</strong>c.).Les premières conventions, c’est-àdireles premiers rassemblements importantspentecôtistes tsiganes (plusieurs dizaines <strong>de</strong>caravanes, puis plus tard parfois plusieurscentaines) eurent lieu à Brest en 1953 puis àRennes (300 tsiganes convertis). Cespremiers rassemblements furent toutd’abord sporadiques, mais très rapi<strong>de</strong>mentvinrent rythmer la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> Tsiganesconvertis. Dès la fin <strong><strong>de</strong>s</strong> années 1960,comme nous le témoigna l’une <strong><strong>de</strong>s</strong>fondatrices <strong>de</strong> la revue Étu<strong><strong>de</strong>s</strong> Tsiganes, lestsiganes pensèrent que ces conventionspouvaient être un moyen <strong>de</strong> résistance pour« conserver leur culture ».Tandis que l’appareil d’État françaism<strong>et</strong>tait du temps à prendre en considérationles populations tsiganes en France – lecarn<strong>et</strong> anthropométrique instituant unediscrimination raciale n’a été aboli qu’en1969 – les pentecôtistes <strong>de</strong> leur côté,œuvraient activement pour construire unenouvelle institution religieuse progressivementadministrée par les Tsiganes euxmêmes.L’un <strong><strong>de</strong>s</strong> piliers du pentecôtism<strong>et</strong>sigane est ce que nous avons appelé dansnotre travail les Missions TsiganesItinérantes (MTI). Ce sont <strong><strong>de</strong>s</strong> conventions,<strong><strong>de</strong>s</strong> rassemblements, qui progressivementrythmèrent la vie <strong><strong>de</strong>s</strong> Tsiganes en proposantla possibilité aux convertis (<strong>et</strong> à <strong>de</strong>nombreux non-convertis aussi) <strong>de</strong> seregrouper régulièrement, surtout pendant lespério<strong><strong>de</strong>s</strong> printanières <strong>et</strong> estivales.Tandis que d’un côté les institutionslégitimes <strong>et</strong> les appareils d’État manquaient<strong>de</strong> propositions envers c<strong>et</strong>te population pourleur perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong> trouver une place dans unesociété qui se transformait – en particulierpar une urbanisation croissante du territoire(Jano<strong>de</strong>t, Ferreira, 1992) –, les Tsiganesconstruisaient une institution qui leur permit<strong>et</strong> leur perm<strong>et</strong> encore aujourd’hui d’avoir undispositif d’échappant relativement auxphares <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions légitimes pendant unepério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’année.Dans le Finistère <strong>et</strong> dans le reste <strong>de</strong> laBr<strong>et</strong>agne, nous avons pu remarquer quel’hiver est une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’année où lestsiganes sont sous l’emprise <strong><strong>de</strong>s</strong> loisorganiques, <strong><strong>de</strong>s</strong> systèmes <strong>de</strong> surveillance, <strong><strong>de</strong>s</strong>contrôles systématiques : aires d’accueil,carn<strong>et</strong>s <strong>de</strong> circulation, contrôles <strong>de</strong> police,institutions scolaires (Bizeul, 2007, 1989)...Même si certains tsiganes échappent plusque d’autres à ces systèmes <strong>de</strong> contrôle, endisposant d’un terrain privé par exemple oùils vivent plus ou moins à l’abri <strong><strong>de</strong>s</strong> regardsinstitutionnels, c<strong>et</strong>te pério<strong>de</strong> se caractérisepar une dissémination <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes solidaires<strong>et</strong> il est plus difficile d’être ensemble.En contrepartie, l’été est une pério<strong>de</strong><strong>de</strong> « délivrance » pour beaucoup <strong>de</strong> « Gensdu Voyage », grâce, entre autres, aux MTI.Pendant quelques mois, généralement <strong>de</strong>juin à août, la Mission Évangélique Tzigane<strong>de</strong> France offre aux « gens du voyage » lapossibilité <strong>de</strong> se rassembler, <strong>et</strong> grâce à cerapport <strong>de</strong> force institué par la MTI,d’échapper relativement aux systèmes <strong><strong>de</strong>s</strong>urveillance <strong>et</strong> <strong>de</strong> contrôle, d’être ensemble,<strong>et</strong> <strong>de</strong> parcourir <strong>de</strong> longs traj<strong>et</strong>s sur <strong><strong>de</strong>s</strong>territoires connus ou nouveaux.Une MTI est dirigée par une équipe <strong>de</strong>pentecôtistes dans laquelle les pasteurs ontune place prédominante. Ils s’occupentd’organiser les traj<strong>et</strong>s, les étapes, <strong>de</strong> négocieravec les collectivités locales, le plus souvent<strong><strong>de</strong>s</strong> communes, <strong><strong>de</strong>s</strong> terrains adaptés pour<strong><strong>de</strong>s</strong> conventions qui peuvent atteindrejusqu’à 200 caravanes. En eff<strong>et</strong>, pendant unepério<strong>de</strong> d’environ trois mois, la MTI sedéplace <strong>de</strong> commune en commune, enchangeant <strong>de</strong> place chaque semaine,
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