70 n°6 <strong>2010</strong>pour la plupart d’habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> territoriales« br<strong>et</strong>onnes », rarement au-<strong>de</strong>là. Pourtant,l’avènement <strong>de</strong> l’automobile <strong>et</strong> plusrécemment <strong><strong>de</strong>s</strong> moyens mo<strong>de</strong>rnes <strong>de</strong>communication (le portable, Intern<strong>et</strong>) ontlargement contribué à transformer enprofon<strong>de</strong>ur ces habitu<strong><strong>de</strong>s</strong>. Et les MTI sontl’archétype <strong>de</strong> ces profonds changements. Lavoiture perm<strong>et</strong> d’explorer <strong><strong>de</strong>s</strong> zonesterritoriales beaucoup plus vastes. Leportable perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> se contacter facilement<strong>et</strong> <strong>de</strong> se réunir. Les MTI perm<strong>et</strong>tentl’organisation <strong>de</strong> ces vastes pérégrinations <strong>et</strong><strong>de</strong> ses rassemblements. Et si comme le disaitAlain Reyniers, les tsiganes obéissent à <strong><strong>de</strong>s</strong>formes non règlementées d’autorégulation(Reyniers, 1998) dans lesinteractions entre groupes solidaires, les MTIsemblent avoir permis à la fois <strong>de</strong> continuerc<strong>et</strong>te autorégulation tout en incluant unenouvelle donnée, une nouvelle idéologie, <strong>de</strong>nouvelles représentations, <strong>et</strong> une nouvellerationalité à c<strong>et</strong>te autorégulation avec aucentre le ou les équipes <strong>de</strong> pasteurs.Comme nous avons pu l’observer àtravers la trajectoire <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux pasteurs duFinistère, ceux-ci n’héritaient pas seulementd’un territoire <strong><strong>de</strong>s</strong> aïeux, mais aussi d’unhéritage symbolique : du capitald’honorabilité <strong>de</strong> leur père, pasteur aussi, <strong><strong>de</strong>s</strong>on histoire, <strong>de</strong> son prestige <strong>et</strong> <strong>de</strong>l’obligation <strong>de</strong> continuer dignement samission d’évangélisation <strong>et</strong> <strong>de</strong> transm<strong>et</strong>tre<strong><strong>de</strong>s</strong> pratiques (comme d’organiser <strong><strong>de</strong>s</strong> MTI).Un bon pasteur doit être capable <strong>de</strong>jouer sur plusieurs registres : le jeu tsigane (lamaîtrise <strong>de</strong> certaines habitu<strong><strong>de</strong>s</strong> linguistiques,la franchise, « chiner un terrain » pour uneMTI), le jeu <strong>de</strong> l’entreprise <strong>de</strong> conversion(l’idéologie pentecôtiste <strong>et</strong> ses pratiques :prêches, rituels…), <strong>et</strong> le jeu <strong><strong>de</strong>s</strong> institutionslégitimes (la maîtrise du langage légitime,pour discuter avec les administrations, avecles élus, la laïcité <strong>et</strong> enfin la rationalitéadministrative).Il s’agit bien, d’une part, <strong>de</strong> c<strong>et</strong>apprentissage primaire, <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te expérience dumon<strong>de</strong> comme allant <strong>de</strong> soi (Bourdieu, 1980), leshabitu<strong><strong>de</strong>s</strong> tsiganes incorporées <strong>de</strong>puisl’enfance, <strong>et</strong> d’autre part, <strong>de</strong> croyancesformalisées, rationalisées, <strong><strong>de</strong>s</strong> implicationspratiques, du sens pratique, <strong>de</strong> ce que nousnommerons la foi pratique (organiser lesMTI, jouer le jeu <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions légitimes <strong>et</strong>organiser une certaine forme d’entrai<strong>de</strong> dansla cité).Nous l’avons compris, les MTIperm<strong>et</strong>tent aux tsiganes <strong>de</strong> pouvoir vaquer àleurs occupations librement pendantplusieurs semaines, d’étendre leurs réseauxd’influence, leurs alliances, leurs possibilitéséconomiques, matrimoniales <strong>et</strong> <strong>de</strong>communier. S’il nous semble possibled’apparenter les MTI à un système <strong>de</strong>prestation totale, c’est parce que les groupessolidaires inclus dans les MTI trouvent là lapossibilité <strong>de</strong> coopérer dans toutes lesdimensions sociales.Quand les institutions légitimes« offrent » aux tsiganes <strong><strong>de</strong>s</strong> dispositifssociaux comme les aires d’accueilpermanentes, avec tout un lot <strong>de</strong> nouvellesobligations extrêmement contraignantes,voire, astreignantes, les MTI perm<strong>et</strong>tentd’échapper pendant une pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’année àces astreintes. Si, symboliquement, nouspouvons penser que les institutionslégitimes, en nous perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> paraphraserMaurice Go<strong>de</strong>lier, (…)[donnent] plus qu’on neleur a donné ou [ donnent] tellement qu’on ne pourrajamais leur redonner [s’élevant ainsi] au <strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong><strong>de</strong>s</strong>autres hommes <strong>et</strong> [<strong>de</strong>venant <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te manière] un peucomme les dieux, du moins [s’en rapprochant](Go<strong>de</strong>lier, 1996), les Tsiganes, en donnantencore plus à Dieu, se situent au <strong><strong>de</strong>s</strong>sus <strong><strong>de</strong>s</strong>institutions légitimes. Ou tout au moins, ilsdiminuent le coût <strong>de</strong> l’incorporation <strong><strong>de</strong>s</strong>règles établies par les institutions légitimesavec leurs obligations <strong>de</strong> stationner sur uneaire d’accueil, leurs polices, <strong>et</strong> tous lesdispositifs <strong>de</strong> surveillance. Nous pourrionsdire qu’en donnant plus à Dieu, ils « courtcircuitent» l’échange avec les institutionslégitimes.
n°6 <strong>2010</strong> 71Les MTI sont en pratique, ce que laglossolalie est dans une dimension plussymbolique. Le socio-anthropologue PatrickWilliams (1993) avance que la glossolalie estune langue pour ne rien dire, <strong>et</strong> compare c<strong>et</strong>tepratique au flamenco comme un moyen <strong><strong>de</strong>s</strong>’échapper du moule établi 5 . La glossolalie seraitbien alors comme le dit Danièle Hervieu-Léger (1993) <strong><strong>de</strong>s</strong> manifestations qui ont unesignification directement sociale dans <strong><strong>de</strong>s</strong> groupesprivés <strong>de</strong> [toute] "expression publique" 6 .Moins symbolique, la foi pratique estc<strong>et</strong>te dimension pratique d’une populationaccablée par la stigmatisation <strong>et</strong> lapersécution <strong>de</strong>puis <strong><strong>de</strong>s</strong> décennies, voire <strong><strong>de</strong>s</strong>siècles. Elle trouve à travers ce dispositifsocial <strong><strong>de</strong>s</strong> MTI une dimension réelle quiperm<strong>et</strong> à <strong><strong>de</strong>s</strong> milliers <strong>de</strong> tsiganes d’existertout en risquant encore une fois d’êtreincompris <strong>et</strong> d’être victimes <strong>de</strong> nouvellesstigmatisations. C<strong>et</strong>te incompréhensionpresque inhérente aux relations entre ceshéritiers d’une certaine forme <strong>de</strong> nomadisme<strong>et</strong> la société française peut se transformer enune sorte <strong>de</strong> supra-stigmate comme nous ledémontre, entre autres, c<strong>et</strong> extrait d’unregistre <strong>de</strong> délibération d’une commune :[Le conseil municipal] désapprouve dansleur état actuel ses modalités <strong>de</strong> gestions proposéespour les grands rassemblements [MTI] qui reportentsur les collectivités locales ou EPCI[Communautés <strong>de</strong> Communes] la5 Le socio-anthropologue Patrick Williams a tenté <strong>de</strong>faire un rapprochement entre la glossolalie <strong>et</strong> lesintonations du flamenco. Sans chercher dans l’essence<strong>de</strong> la culture c<strong>et</strong>te apparenté possible, mais ensupposant qu’elle perm<strong>et</strong>tait, comme le Flamenco« <strong>de</strong> s’échapper du moule établi ».6 “ (...) ou penser par exemple, que dans le“ pentecôtisme ” historique nord-américain, lesphénomènes <strong>de</strong> “ parler en langues ”,correspondaient entre autres, à une mise en scènehautement suggestive <strong>de</strong> la privation du langage (<strong>et</strong>partant <strong>de</strong> reconnaissance sociale) dont étaientvictimes <strong><strong>de</strong>s</strong> groupes sociaux (Noirs, paysans du Sud)exclus, <strong>de</strong> fait <strong>et</strong> <strong>de</strong> droit, <strong><strong>de</strong>s</strong> bénéfices <strong>de</strong> lamo<strong>de</strong>rnisation rapi<strong>de</strong> du pays. C<strong>et</strong>te interprétation estd’autant plus plausible que la manifestation glossolale,reprise <strong>de</strong> l’expérience <strong>de</strong> la communauté chrétienneprimitive, s’inscrivait aussi dans l’évocation utopiqued’un âge d’or <strong>de</strong> la charité chrétienne, à forte chargeprotestataire” (1993, p. 90).responsabilité totale <strong>de</strong> leur accueil. En eff<strong>et</strong>, au-<strong>de</strong>làdu principe contestable d’accor<strong>de</strong>r <strong><strong>de</strong>s</strong> droitsspécifiques à une catégorie <strong>de</strong> la population françaiseau nom <strong>de</strong> l’appartenance à une communauté <strong>et</strong> sur<strong><strong>de</strong>s</strong> fon<strong>de</strong>ments religieux, au-<strong>de</strong>là <strong><strong>de</strong>s</strong> difficultés àtrouver <strong><strong>de</strong>s</strong> terrains réservés à l’usage proposé,l’expérience a déjà montré que même avec <strong><strong>de</strong>s</strong>mesures préalables à <strong><strong>de</strong>s</strong> installations, lesdispositions prises n’ont pas été respectées par lesgroupes. Par ailleurs, aucune mesure légale nouvellen’apparaît pour assurer au Maire la possibilité <strong>de</strong>faire respecter ses pouvoirs <strong>de</strong> police 7 .C<strong>et</strong>te position souvent entendue dansplusieurs communes est l’expression d’unenouvelle forme <strong>de</strong> stigmatisation ou <strong>de</strong>persécution, où les frontières mentalestrouvent leur justification dans une positionuniversaliste en dénonçant un phénomène« <strong>et</strong>hnico-religieux ». Cependant, ce sont cesmêmes institutions légitimes, communes,collectivités locales ou territoriales,institutions politiques, qui, en déniant ou enméprisant l’existence <strong><strong>de</strong>s</strong> tsiganes, ontcontribué à la constitution d’un tel dispositifsocial <strong>et</strong> religieux. C<strong>et</strong>te adhésion <strong><strong>de</strong>s</strong>tsiganes au pentecôtisme dresse parfoiscontre eux les acteurs sociaux les pluscompatissants (<strong><strong>de</strong>s</strong> travailleurs sociaux, <strong><strong>de</strong>s</strong>élus sympathisants prêts à prendre leurdéfense…).Finalement, si d’un côté lepentecôtisme tsigane a créé un système <strong>de</strong>prestation compensatoire face au manque <strong>de</strong>politique <strong>et</strong> <strong>de</strong> considération sociale <strong>de</strong> lapart <strong><strong>de</strong>s</strong> institutions légitimes au cours <strong><strong>de</strong>s</strong>décennies passées, il a aussi fait émerger unenouvelle frontière entre « eux » <strong>et</strong> les« autres ».Régis LaurentDocteur en sociologiePost-doctorant CERLIS Université Paris 3regis.lo@wanadoo.fr7 Extrait du Registre <strong><strong>de</strong>s</strong> Délibérations du ConseilMunicipal d’une commune br<strong>et</strong>onne datant <strong>de</strong> juill<strong>et</strong>2002.
- Page 3 and 4:
n°06 2010Rroms & Gens du Voyagee-m
- Page 5 and 6:
n°6 2010 3collectivités locales,
- Page 7 and 8:
n°6 2010 5DOSSIERRejets éternels
- Page 9 and 10:
n°6 2010 7Le comte était de retou
- Page 11 and 12:
n°6 2010 9du propriétaire du terr
- Page 13 and 14:
n°6 2010 11En 1971, à Dung, dans
- Page 15 and 16:
n°6 2010 13errants sans fortune. E
- Page 17 and 18:
n°6 2010 15mais doivent leur perme
- Page 19 and 20:
n°6 2010 17Les aires de réclusion
- Page 21 and 22: n°6 2010 19dans les rues du bourg
- Page 23 and 24: n°6 2010 21pour réglementer le st
- Page 25 and 26: n°6 2010 23périphériques 59 . La
- Page 27 and 28: n°6 2010 25Or que publie La Voix d
- Page 29 and 30: n°6 2010 27a) en raison de la cré
- Page 31 and 32: n°6 2010 29Se dire Manouche, Rom,
- Page 33 and 34: n°6 2010 31combinaison de processu
- Page 35 and 36: n°6 2010 33distingués et ont dét
- Page 37 and 38: n°6 2010 35situations et les éche
- Page 39 and 40: n°6 2010 37groupes Roms, Gitans et
- Page 41 and 42: n°6 2010 39Tableau n°1 : Comparai
- Page 43 and 44: n°6 2010 41de la pratique du voyag
- Page 45 and 46: n°6 2010 43pourquoi, elle ne peut
- Page 47 and 48: n°6 2010 45Liégeois, Jean-Pierre
- Page 49 and 50: n°6 2010 47surgit parmi nous, au c
- Page 51 and 52: n°6 2010 49à la grande transforma
- Page 53 and 54: n°6 2010 51ségrégations à l’i
- Page 55 and 56: n°6 2010 53« Docteurs, dit-il, no
- Page 57 and 58: n°6 2010 55Bourdieu, Pierre ; Cham
- Page 59 and 60: n°6 2010 57C'est au bout de quelqu
- Page 61 and 62: n°6 2010 59financière fixe. L'enc
- Page 63 and 64: n°6 2010 61séjour supérieure à
- Page 65 and 66: n°6 2010 63Le choix et l'autonomie
- Page 67 and 68: n°6 2010 65Les Missions Tsiganes I
- Page 69 and 70: n°6 2010 67ont constitué une mém
- Page 71: n°6 2010 69avec un franc succès.
- Page 75 and 76: n°6 2010 73Le pentecôtisme : nouv
- Page 77 and 78: n°6 2010 75la Promotion et la Soli
- Page 79 and 80: n°6 2010 77Actuellement se dévelo
- Page 81 and 82: n°6 2010 79visibilité des populat
- Page 83 and 84: n°6 2010 81source de remobilisatio
- Page 85 and 86: n°6 2010 83VIE DU LABO« Mémoires
- Page 87 and 88: n°6 2010 85hommes accueillis dans
- Page 89 and 90: n°6 2010 87cier, contourner, et co
- Page 91 and 92: n°6 2010 89aux droits affectant sp
- Page 93 and 94: n°6 2010 91(+62% entre 2007 et 200
- Page 95 and 96: n°6 2010 93jusqu’à l’ambassad
- Page 97 and 98: n°6 2010 91travailleurs immigrés,
- Page 99 and 100: n°6 2010 93résonance et de diffra
- Page 101 and 102: n°6 2010 95Parvenus au Gabon, ces
- Page 103 and 104: n°6 2010 97l’influence a certain
- Page 105 and 106: n°6 2010 99quartier de Takadoum à
- Page 107 and 108: n°6 2010 101en partance vers Istan
- Page 109: n°6 2010 103sous des angles histor