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champ clos. « Vois donc <strong>ce</strong> chevalier, dit-elle à l’une de ses suivantes, comme il est be<strong>au</strong> et a<br />
belle allure ! Il se tient <strong>au</strong>ssi droit sur son cheval que s’il y était planté ! Par Notre-Seigneur,<br />
sa be<strong>au</strong>té ne fait <strong>au</strong>cun doute, et les fées ont dû se pencher sur son ber<strong>ce</strong><strong>au</strong> pour qu’il ait<br />
bénéficié de tant de finesse et de fierté ! S’il a <strong>au</strong>tant de valeur qu’il a de be<strong>au</strong>té, il mérite<br />
qu’on puisse le remarquer. Va donc le trouver et invite-le à participer <strong>au</strong>x joutes. »<br />
La jeune fille quitta la galerie et se dirigea vers Bohort. « Seigneur chevalier, lui dit-elle,<br />
donne-moi ton bouclier. – Et pourquoi donc ? » demanda Bohort, très étonné par <strong>ce</strong>tte<br />
demande. La jeune fille se mit à rire et répondit : « Par<strong>ce</strong> qu’il me servirait <strong>ce</strong>rtainement<br />
mieux qu’à toi : je l’attacherais à la queue de mon cheval pour l’amour des bons chevaliers<br />
qui regardent les tournois sans rien entreprendre qui puisse plaire <strong>au</strong>x dames qui les<br />
regardent ! » Bohort rougit et demeura d’abord interdit. Puis, sans dire un mot, il remit son<br />
he<strong>au</strong>me, baissa la tête, et piquant des éperons, se précipita dans le champ, la lan<strong>ce</strong> en<br />
avant. En le voyant ainsi approcher, plusieurs chevaliers vinrent à sa rencontre, mais il<br />
renversa le premier homme qui s’opposa à lui, fit voler le second à terre par-dessus la croupe<br />
de son cheval, brisa sa lan<strong>ce</strong> en abattant un troisième, tira son épée et plongea dans la<br />
mêlée où il manifesta tant d’adresse qu’<strong>au</strong> bout d’un moment, <strong>au</strong>cun adversaire, quelle que<br />
fût sa fierté, n’osa plus se mesurer à lui.<br />
La fille du roi Brangore dit <strong>au</strong>x femmes qui l’entouraient : « Que vous semble de <strong>ce</strong><br />
chevalier inconnu ? – Il peut bien dire que Dieu lui a donné <strong>au</strong>tant de prouesse que de<br />
be<strong>au</strong>té ! » répondirent-elles. La fille du roi reprit : « Écoutez-moi bien : nous devons élire un<br />
chevalier pour qu’il vienne s’asseoir en grand honneur dans la chaire d’or, à la table des<br />
douze pairs, <strong>au</strong> milieu de <strong>ce</strong>tte prairie. Auprès de lui doivent prendre pla<strong>ce</strong> les douze<br />
meilleurs chevaliers du tournoi. C’est notre coutume. Choisissons donc <strong>ce</strong>ux à qui nous<br />
accorderons <strong>ce</strong>t honneur, car c’est pour <strong>ce</strong>tte raison que nous sommes ici. »<br />
Elles furent unanimes à répondre que <strong>ce</strong> chevalier inconnu était l’incontestable vainqueur<br />
de la rencontre. Puis elles se mirent d’accord pour désigner les douze champions qui avaient<br />
le mieux combattu après lui. Alors, le roi Brangore arrêta le tournoi et appela Bohort <strong>au</strong>près<br />
de lui en lui manifestant tant de joie et de sympathie que le jeune homme en eut presque<br />
honte. Les jeunes filles l’emmenèrent pour le désarmer et pour lui laver le corps et le visage.<br />
Enfin, la fille du roi le revêtit, presque de for<strong>ce</strong> tant il s’en défendait, d’une riche robe de soie<br />
vermeille fourrée d’hermine.<br />
Pendant <strong>ce</strong> temps, le roi faisait tendre un pavillon, car la chaleur était grande, et l’on<br />
apporta la chaire d’or et la table des douze pairs. Mais quand Bohort fut assis dans <strong>ce</strong>tte<br />
chaire, il devint tout rouge de confusion, <strong>ce</strong> qui le rendit encore plus be<strong>au</strong> à tous <strong>ce</strong>ux qui le<br />
regardaient. Les douze chevaliers élus lui servirent le premier mets à genoux, puis ils se<br />
mirent tous à table. Le second mets lui fut présenté par les dames, le troisième par le roi et<br />
ses barons, et tous les <strong>au</strong>tres qui suivirent par les jeunes filles. Mais <strong>ce</strong> fut la fille du roi qui<br />
apporta le dernier, qui était fait des épi<strong>ce</strong>s les plus fines et les plus rares. Ensuite, les<br />
musiciens se mirent à jouer, tandis que les rondes commençaient dans la prairie. Les dames<br />
et les jeunes filles, qui étaient plus d’une <strong>ce</strong>ntaine, allèrent y danser en chantant.<br />
Toutes étaient avenantes et richement habillées, mais <strong>ce</strong>ux qui regardaient la fille du roi<br />
Brangore pensaient que jamais plus belle créature n’était née depuis la Vierge Marie. Et non<br />
seulement elle était une fleur de be<strong>au</strong>té, mais elle avait reçu une éducation des plus<br />
soignées : elle s’entendait merveilleusement à broder des draps de soie et d’or, elle savait