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terrestre, être quitte de la damnation éternelle, je m’en estimerais très heureux. J’ai fait tant<br />

de mal dans ma vie que j’obtiendrai difficilement le pardon divin malgré mes tortures en <strong>ce</strong><br />

monde. Mais crois-moi, j’ai bien mérité le châtiment que j’endure. »<br />

Le vieil homme à la harpe se releva et disparut sans ajouter un mot. Bohort avait<br />

l’intention de le questionner sur plusieurs choses, mais il n’en eut pas le temps, car l’homme<br />

avait déjà regagné la chambre d’où il était sorti. De nouve<strong>au</strong>, le silen<strong>ce</strong> et l’ombre envahirent<br />

la grande salle du Palais Aventureux, et Bohort, à demi couché sur le Lit de la Merveille,<br />

oubliant la douleur que sa blessure à l’ép<strong>au</strong>le lui c<strong>au</strong>sait, se demandait s’il rêvait ou s’il était<br />

vraiment le témoin des événements étranges qui se déroulaient devant lui. Il lui revint à<br />

l’esprit <strong>ce</strong> qu’avait dit Morgane à propos du Roi Pêcheur, qui pouvait prendre toutes les<br />

formes désirées, et qui était expert en charmes et enchantements. Et pourquoi Pellès lui<br />

avait-il refusé de passer la première nuit de son séjour à Corbénic dans le Palais<br />

Aventureux ? Il se demandait <strong>au</strong>ssi si Lan<strong>ce</strong>lot avait subi les mêmes épreuves avant d’être<br />

admis dans le lit de la fille du roi.<br />

Il en était là de ses réflexions quand il aperçut la colombe tenant l’en<strong>ce</strong>nsoir dans son bec,<br />

qui entra par un vitrail entrouvert, voleta à travers la salle et s’engouffra dans une chambre<br />

dont la porte s’était entrebâillée pour la laisser entrer. Le palais devint très calme, très<br />

silencieux, comme si rien ne s’y était jamais passé, et Bohort sentit les senteurs les plus fines<br />

et les plus suaves se répandre dans l’air, comme si toutes <strong>ce</strong>lles du monde y convergeaient.<br />

Alors, de <strong>ce</strong>tte même chambre où était entrée la colombe, sortirent quatre enfants en bas<br />

âge, si be<strong>au</strong>x que Bohort ne les prit pas pour des créatures terrestres, mais pour des anges<br />

des<strong>ce</strong>ndus du ciel. Ils portaient quatre chandeliers <strong>au</strong>x cierges ardents. Devant eux, marchait<br />

un porteur d’en<strong>ce</strong>nsoir, et derrière, un homme d’un grand âge, chenu, vêtu comme un prêtre.<br />

Il n’avait <strong>ce</strong>pendant pas de chasuble, mais il portait une lan<strong>ce</strong>. Et plus Bohort regardait la<br />

lan<strong>ce</strong>, plus il était intrigué, car du fer de <strong>ce</strong>lle-ci coulaient une à une des gouttes de sang qui<br />

paraissaient s’évaporer dans l’ombre.<br />

Persuadé qu’il s’agissait d’un objet saint et vénérable, Bohort se leva et s’inclina à son<br />

passage. Le porteur de lan<strong>ce</strong> s’en alla droit <strong>au</strong> siège d’or et se mit à parler ainsi : « Seigneur<br />

chevalier, tu es le plus pur et le plus digne de <strong>ce</strong>ux de la maison d’Arthur qui soit entré ici. Tu<br />

pourras dire, quand tu seras en ton pays, que tu as vu la Lan<strong>ce</strong> vengeresse [44] . Tu ignores<br />

bien sûr <strong>ce</strong> que <strong>ce</strong>la veut dire, et tu ne l’apprendras pas avant que le Siège Périlleux de la<br />

Table Ronde ait trouvé son maître. Cependant, tu connaîtras la vérité à <strong>ce</strong> sujet par <strong>ce</strong>lui qui<br />

occupera <strong>ce</strong>tte pla<strong>ce</strong>. Il te dira la nature de <strong>ce</strong>tte lan<strong>ce</strong>, d’où elle vient et qui l’a apportée ici.<br />

Si ton cousin Lan<strong>ce</strong>lot avait pris garde, <strong>au</strong> début de sa vie de chevalier, de se défendre du<br />

commer<strong>ce</strong> des femmes, comme tu l’as fait, toi, il <strong>au</strong>rait mené à leur terme les aventures dont<br />

nous souffrons tous encore <strong>au</strong>jourd’hui. C’est un chevalier si preux et si prisé qu’il n’a pas son<br />

égal dans le monde entier, mais il est d’<strong>au</strong>tre part si souillé que les louables vertus, qui<br />

devraient être les siennes, sont anéanties et ruinées par la faiblesse de ses reins et la<br />

chaleur de son tempérament [45] . »<br />

L’homme à la lan<strong>ce</strong> se leva alors et se retira, disparaissant dans une des chambres.<br />

Bientôt, une douzaine de jeunes filles firent leur entrée dans la salle, p<strong>au</strong>vrement vêtues et<br />

attifées de parures sans valeur. Elles marchaient lentement, à petits pas, l’une après l’<strong>au</strong>tre,<br />

en silen<strong>ce</strong>, et elles pleuraient si lamentablement que l’homme le plus insensible à la pitié en

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