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Le lendemain, Arthur manifesta l’intention de se remettre en route et de regagner<br />
Kaerlion sur Wysg. « Seigneur roi, dit Yvain, <strong>ce</strong> n’est pas ainsi que tu dois agir. Il y a déjà de<br />
nombreuses semaines que je t’ai quitté pour réparer le tort qu’avait subi Kalogrenant et, du<br />
temps de ton père, le roi Uther, à Kynon, fils de Klydno. Or, <strong>au</strong>jourd’hui, <strong>ce</strong>tte terre<br />
m’appartient de plein droit, et je ne peux, sans être déshonoré, te laisser repartir sans que tu<br />
viennes dans ma forteresse. Depuis que je suis maître du pays, j’ai préparé un festin pour toi<br />
et tes compagnons. Je savais qu’un jour ou l’<strong>au</strong>tre, tu me rechercherais. Tu viendras donc<br />
avec moi jusqu’à ma demeure pour te délasser de tes fatigues, avec tes gens. Vous <strong>au</strong>rez<br />
des bains en abondan<strong>ce</strong>, de la bonne nourriture et des breuvages choisis parmi les meilleurs<br />
qui soient <strong>au</strong> monde. – Eh bien, répondit Arthur, c’est avec grande joie et grand plaisir que<br />
nous ac<strong>ce</strong>ptons ton invitation. »<br />
Ils montèrent tous sur leurs chev<strong>au</strong>x et se dirigèrent vers la forteresse de Landuc par le<br />
plus court chemin. Mais Yvain avait pris soin d’envoyer en avant un écuyer qui portait un<br />
f<strong>au</strong>con sur son poing, afin qu’il avertît la dame L<strong>au</strong>dine de leur arrivée et que les gens<br />
pussent embellir les maisons, en l’honneur du roi Arthur. D’ailleurs, quand la Dame de la<br />
Fontaine eut appris la venue du roi, elle en fut très heureuse, et ses gens n’en furent pas<br />
moins contents. La dame leur commanda d’aller à sa rencontre. Ils obéirent avec grand<br />
empressement et quand ils furent à la h<strong>au</strong>teur de la troupe, ils saluèrent en grande pompe le<br />
roi de l’île de Bretagne et tous les gens de sa compagnie. Puis, ils les escortèrent jusqu’à la<br />
forteresse en poussant des cris d’allégresse.<br />
La cité s’emplit d’une joyeuse rumeur. On para les murs de draps de soie, et des tapis<br />
furent étendus sur les pavés. Pour protéger les rues du soleil qui était fort ch<strong>au</strong>d, car on était<br />
en plein été, on les couvrit de courtines. Les cloches, les cors et les trompettes retentirent à<br />
grand bruit dans la ville. Devant le roi, dansaient des jeunes filles tandis que les tambours<br />
rythmaient la marche des nouve<strong>au</strong>x arrivants. D’agiles jongleurs s<strong>au</strong>taient et accomplissaient<br />
des tours d’adresse. Tous rivalisaient de gaieté pour re<strong>ce</strong>voir le roi Arthur.<br />
La Dame de la Fontaine était sortie, vêtue d’une robe impériale bordée d’hermine, un<br />
diadème sur le front tout orné de rubis. Elle était resplendissante et se montrait gaie et<br />
enjouée ; elle paraissait plus belle qu’une déesse des temps anciens. Autour d’elle se pressait<br />
la foule, et tous disaient et répétaient, les uns après les <strong>au</strong>tres : « Bienvenu soit le roi, le<br />
seigneur des rois et le roi des seigneurs du monde [22] ! » Arthur ne pouvait guère répondre<br />
à tous <strong>ce</strong>s saluts. Il vit venir à lui la dame qui lui tint l’étrier. Mais il ne voulut point se prêter<br />
à <strong>ce</strong>tte courtoisie, et se hâta de des<strong>ce</strong>ndre d’un bond de son cheval. Elle le salua<br />
courtoisement en disant : « Sois le bienvenu, roi Arthur, mon seigneur, et béni soit le<br />
valeureux G<strong>au</strong>vain, ton neveu ! – Que ta noble personne ait le bonjour, belle Dame de la<br />
Fontaine ! » répondit le roi. Et, en disant <strong>ce</strong>s mots, il l’embrassa.<br />
Pendant le festin, un chevalier n’avait d’yeux que pour la jeune fille qui portait le nom de<br />
Luned. C’était G<strong>au</strong>vain, la fine fleur de la chevalerie, l’un des plus valeureux compagnons de<br />
la Table Ronde, et le neveu du roi, <strong>ce</strong>lui qu’il avait désigné comme son suc<strong>ce</strong>sseur. G<strong>au</strong>vain<br />
faisait en effet resplendir la chevalerie comme le soleil du matin, en dardant ses rayons qui<br />
illumine tous les lieux où il se répand. Et si G<strong>au</strong>vain était le soleil [23] , il devait y avoir une<br />
lune pour re<strong>ce</strong>voir ses rayons. Ce fut Luned, la suivante de L<strong>au</strong>dine [24] , qui avait été l’élève<br />
de Morgane et qui s’y connaissait fort bien en magie et nécromancie. Elle était brune,