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Rends-le-moi, et je m’en retournerai immédiatement, en te laissant à tes plaisirs ! »<br />

Yvain ne fit pas un geste et ne prononça pas une parole. Il ne le pouvait d’ailleurs pas,<br />

tant l’angoisse le saisissait à la gorge et l’étouffait. La jeune fille, constatant son peu de<br />

réaction, s’approcha de lui, lui prit la main et retira l’anne<strong>au</strong> qu’il portait à l’un de ses doigts.<br />

Après quoi, elle dit à l’adresse de tous <strong>ce</strong>ux qui se trouvaient là : « C’est ainsi qu’on traite un<br />

trompeur, un traître sans parole ! Que la honte le dévore ! » Elle se retourna alors, s<strong>au</strong>ta sur<br />

son cheval, piqua des deux et disparut <strong>au</strong>ssi vite qu’elle était venue.<br />

Un grand silen<strong>ce</strong> plana sur l’assemblée. Personne n’osait dire un mot, tant l’incident avait<br />

été pénible. Puis, des murmures montèrent peu à peu, comme le bruit de la marée après une<br />

période de calme. Mais Yvain demeurait hébété. Tout <strong>ce</strong> qu’il per<strong>ce</strong>vait dans ses oreilles<br />

l’incommodait, tout <strong>ce</strong> qu’il voyait le tourmentait. Il <strong>au</strong>rait voulu être très loin en une terre<br />

s<strong>au</strong>vage si inconnue qu’on n’eût jamais pu le retrouver. Et il savait bien que tout <strong>ce</strong>la était sa<br />

f<strong>au</strong>te. Il se haïssait lui-même, se demandant <strong>au</strong>près de qui il pourrait trouver consolation.<br />

Mais, ni G<strong>au</strong>vain ni <strong>au</strong>cun <strong>au</strong>tre de ses compagnons n’<strong>au</strong>rait pu l’arracher à son désespoir. Il<br />

s’éloigna sans mot dire, craignant de pronon<strong>ce</strong>r de folles paroles <strong>au</strong> milieu des <strong>au</strong>tres. Il<br />

valait mieux qu’il se réfugiât dans le silen<strong>ce</strong> et la solitude. Ainsi, pourrait-il expier le forfait<br />

dont il s’était rendu coupable.<br />

Il fut bientôt très loin de la forteresse et des pavillons qu’on avait dressés sur le pré. Alors,<br />

le délire s’empara de lui. Il se griffa le visage, se tordit les mains, déchira ses vêtements et<br />

les mit en lambe<strong>au</strong>x, et il s’enfuit par les bois et par les champs. Quand ils ne le virent plus,<br />

ses compagnons, fort inquiets, partirent à sa recherche, mais ils eurent be<strong>au</strong> fouiller les<br />

tentes, les essarts, les haies et les fourrés, ils ne le trouvèrent point. Yvain avait couru<br />

comme un fou, délaissant son cheval et ses armes. Près d’un parc, il rencontra un garçon qui<br />

tenait un arc et des flèches et il eut juste assez de sens pour les lui arracher. Perdant le<br />

souvenir de tout <strong>ce</strong> qu’il avait pu faire jusque-là, il s’enfonça dans la forêt, guettant les bêtes<br />

qui se cachaient sous les frondaisons, les tuant, les dépouillant et en mangeant la chair crue.<br />

Il passa la nuit <strong>au</strong> pied d’un arbre et dormit d’un sommeil lourd. Le froid du petit matin le<br />

réveilla. Il se leva, non pas pour revenir vers la cour, mais <strong>au</strong> contraire pour s’enfon<strong>ce</strong>r<br />

davantage dans les bois. Il franchit des vallées, s’égara dans des montagnes désertes, revint<br />

vers des prairies fleuries, et continua ainsi pendant des jours et des nuits jusqu’à <strong>ce</strong> que le<br />

peu de vêtements qu’il lui restait fût entièrement usé. De longs poils lui poussèrent alors sur<br />

le corps. Il fit sa compagnie des anim<strong>au</strong>x s<strong>au</strong>vages. Il se nourrit avec eux, si bien qu’ils lui<br />

devinrent familiers, ne lui faisant <strong>au</strong>cun mal et lui apportant même de la venaison lorsqu’il<br />

n’avait plus rien à manger. Mais, il finit par s’affaiblir <strong>au</strong> point de ne plus pouvoir les suivre<br />

dans leurs courses folles le long des pentes. Il se mit alors à rôder dans le bocage comme un<br />

homme for<strong>ce</strong>né et s<strong>au</strong>vage, et c’est là qu’un jour il se retrouva tout près d’une maison très<br />

basse et recouverte de ch<strong>au</strong>me où demeurait un ermite.<br />

Quand l’ermite aperçut <strong>ce</strong>t homme nu, il comprit qu’il n’avait plus son bon sens. Craignant<br />

d’être assailli sans raison par lui, il courut se réfugier dans sa maison et en ferma<br />

soigneusement la porte. Mais pris de pitié devant <strong>ce</strong>tte déchéan<strong>ce</strong>, il saisit du pain qu’il<br />

faisait cuire lui-même, ainsi qu’un bol rempli d’e<strong>au</strong>, et les plaça <strong>au</strong>-dehors, sur le rebord de la<br />

fenêtre. Le fou s’approcha et, mis en appétit, s’empara du pain et le mordit. Il n’en avait<br />

<strong>ce</strong>rtes jamais goûté d’<strong>au</strong>ssi m<strong>au</strong>vais ni d’<strong>au</strong>ssi dur, mais il le dévora en entier, et le pain, qui<br />

était fait avec de l’orge et qui était très aigre, lui parut <strong>au</strong>ssi tendre que de la bouillie. Quand

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