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ta blessure, à tel point que tu feras l’émerveillement de tous <strong>ce</strong>ux qui ont aimé, qui aiment et<br />
qui aimeront. Va-t’en d’ici, m<strong>au</strong>dit chasseur ! Laisse-moi en paix ! »<br />
Guigemer se redressa péniblement et eut bien du mal à se remettre en selle. Il s’éloigna<br />
en pensant à <strong>ce</strong> qu’il venait d’entendre et qui l’effrayait tant. Jamais il n’avait rencontré une<br />
femme dont il eût souhaité obtenir l’amour. Si les paroles qu’avait prononcées la biche<br />
étaient vraies, il ne lui restait plus qu’à mourir, car jamais il ne trouverait une femme qui pût<br />
souffrir d’amour pour lui plus que toutes les <strong>au</strong>tres femmes du monde. Et pourtant, il n’avait<br />
<strong>au</strong>cune envie de mourir. Il appela son valet : « Ami, éperonne ton cheval ! Dis à mes<br />
compagnons de revenir <strong>au</strong> plus tôt ! » Le valet partit à grande allure et Guigemer demeura<br />
seul. Sa plaie était profonde. En gémissant, il prit un mor<strong>ce</strong><strong>au</strong> de sa chemise et banda sa<br />
cuisse en serrant bien fort pour éviter que son sang ne coulât. Puis il attendit. Ses<br />
compagnons revinrent avec le valet et s’étonnèrent de <strong>ce</strong> qui lui était arrivé. On fit une<br />
civière et on le transporta jusqu’à son logis.<br />
Là, on fit venir des médecins, mais ils eurent be<strong>au</strong> répandre des onguents sur la blessure,<br />
<strong>ce</strong>lle-ci ne se fermait pas et la souffran<strong>ce</strong> qu’endurait Guigemer ne s’atténuait pas. Quelques<br />
jours plus tard, voyant que rien n’y faisait, Guigemer demanda à l’un des écuyers d’aller<br />
trouver la reine Morgane. Il savait qu’elle était savante en l’art de magie et en toutes sortes<br />
de médecines. Peut-être trouverait-elle le moyen de le guérir.<br />
Quand elle fut prévenue, Morgane vint à son chevet. Elle examina la blessure et se fit<br />
expliquer par Guigemer comment une telle chose avait pu se produire. Il lui raconta tout par<br />
le détail, lui répétant les paroles prononcées par la biche blessée. « Certes, dit Morgane, te<br />
voici sous le coup d’un sortilège. Ce n’est pas une biche que tu as ainsi blessée, tu t’en<br />
doutes bien. Et c’est pour <strong>ce</strong>la que sa vengean<strong>ce</strong> est inéluctable [38] . Mais la malédiction est<br />
trop précise pour que j’y puisse quelque chose. Seule, une femme qui t’aimera et qui souffrira<br />
de son amour plus qu’<strong>au</strong>cune <strong>au</strong>tre femme <strong>au</strong> monde peut guérir ta blessure. Il ne te reste<br />
plus qu’à la trouver. Voici <strong>ce</strong> que tu vas faire : sans rien dire à personne, et sans te faire<br />
accompagner, tu t’en iras, demain matin, jusqu’<strong>au</strong> rivage de la mer, à l’endroit où s’ouvre<br />
l’estuaire. Il y a là un promontoire qui s’avan<strong>ce</strong> <strong>au</strong> milieu des e<strong>au</strong>x. Tu y trouveras une<br />
barque, tu y monteras et tu te laisseras aller où le destin te mènera. C’est tout <strong>ce</strong> que je<br />
peux faire pour toi, seigneur, et je te recommande à la grâ<strong>ce</strong> de Dieu. » Ayant ainsi parlé,<br />
Morgane quitta Guigemer, le laissant à ses pensées tumultueuses et contradictoires. « Suis-je<br />
en pleine diablerie ? » se dit-il. Cependant, il sentait que l’espoir renaissait en lui.<br />
Le lendemain matin, avant l’<strong>au</strong>be, il se leva avec be<strong>au</strong>coup de difficultés et, sans se faire<br />
remarquer de quiconque, il s’en alla <strong>au</strong>x écuries, choisit un cheval rapide, monta en selle et<br />
s’éloigna vers le rivage. Il arriva ainsi sur le bord d’une falaise et vit le promontoire et<br />
l’estuaire dont lui avait parlé Morgane. C’est vers le promontoire qu’il se dirigea. En<br />
gémissant, car sa plaie le faisait terriblement souffrir, il des<strong>ce</strong>ndit de son cheval et s’engagea<br />
sur un étroit sentier. Il y avait là une crique très abritée, que l’on ne voyait même pas du<br />
h<strong>au</strong>t de la falaise, et dans <strong>ce</strong>tte crique il aperçut un petit bate<strong>au</strong> dont la voile battait <strong>au</strong> vent.<br />
Guigemer s’étonna fort de la présen<strong>ce</strong> de <strong>ce</strong>tte barque mais, sans plus attendre, il se hissa<br />
à bord. Il pensait y trouver des hommes chargés de sa garde, mais il n’y avait personne. La<br />
barque était en très bon état, si parfaitement enduite de poix <strong>au</strong>-dedans et <strong>au</strong>-dehors qu’on<br />
n’<strong>au</strong>rait pu y trouver la moindre jointure. Les chevilles et les crampons étaient en ébène, et<br />
la voile était en soie très solide. Au milieu de la barque était dressé un lit dont les pieds et