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dormait. Quand elle le vit malade, elle dit à la jeune fille qui était avec elle : « Ma boisson a<br />
fait son effet, et je ne pense pas que Lan<strong>ce</strong>lot ait jamais la for<strong>ce</strong> de se lever. Va donc le<br />
trouver, demande-lui comment il va, mais garde-toi bien de lui dire qu’il est en prison : s’il le<br />
savait, je pense qu’il en mourrait de douleur. »<br />
Elle rentra dans le logis et vint à la chambre forte dont elle ouvrit la porte. Elle le trouva<br />
très pâle et épuisé, et lui demanda comment il allait. « Très mal, dit-il. Je serais incapable de<br />
me tenir à cheval. – Tu peux donc rester <strong>au</strong> lit, lui dit-elle, car dans l’état où tu es, tu ne<br />
pourras pas partir <strong>au</strong>jourd’hui. – Tu as raison. Même si je le voulais absolument, je n’<strong>au</strong>rais<br />
pas la for<strong>ce</strong> de chev<strong>au</strong>cher. »<br />
Lan<strong>ce</strong>lot demeura ainsi un mois entier avant de savoir qu’il était en prison. Quand<br />
Morgane apprit qu’il était guéri, elle dit à la jeune fille de le renseigner sur son sort. Celle-ci<br />
entra donc dans la chambre forte, et Lan<strong>ce</strong>lot lui demanda quand elle comptait l’emmener où<br />
elle avait dit qu’il y avait une aventure.<br />
« Il n’est pas possible de sortir, avoua la jeune fille en rougissant. Il te f<strong>au</strong>dra rester dans<br />
<strong>ce</strong>tte prison. » Lan<strong>ce</strong>lot se mit en colère : « Comment <strong>ce</strong>la ? Que signifie <strong>ce</strong>tte diablerie ?<br />
Jeune fille, pourquoi m’as-tu ainsi trahi alors que je te faisais confian<strong>ce</strong> ? – J’y ai été<br />
contrainte, balbutia-t-elle. – Et par qui donc, je te prie ? – Par ma dame. – Et qui est ta<br />
dame ? – Morgane, sœur du roi Arthur. » Lan<strong>ce</strong>lot se mit à rire, mais son rire était rempli<br />
d’amertume. « Encore elle ! s’écria-t-il. Il est vrai que j’<strong>au</strong>rais dû m’en douter ! Et pour quelle<br />
raison ta maîtresse me retient-elle dans <strong>ce</strong>tte prison ? – Ce n’est pas à moi qu’il f<strong>au</strong>t le<br />
demander ! » répondit la jeune fille. Et quelque peu confuse, elle se fit ouvrir la porte depuis<br />
l’extérieur, et quitta Lan<strong>ce</strong>lot.<br />
Il resta enfermé de septembre à Noël. Après Noël, quand le froid fut passé, un jour,<br />
Lan<strong>ce</strong>lot alla s’accouder à l’une des fenêtres de fer, d’où l’on avait vue sur le palais. Ouvrant<br />
le vitrail, il vit un homme qui peignait une histoire des anciens temps, avec une inscription<br />
sous chaque image. Il comprit que c’était l’histoire d’Énée et sa fuite de Troie. Il songea alors<br />
que si sa chambre était peinte de ses propres actions, il <strong>au</strong>rait grand plaisir à admirer les<br />
comportements de Guenièvre, et <strong>ce</strong> serait un grand allégement à ses m<strong>au</strong>x.<br />
Il demanda <strong>au</strong> vieillard qui peignait de lui donner quelques-unes de ses couleurs pour faire<br />
un table<strong>au</strong> dans sa chambre ; et l’<strong>au</strong>tre, n’y voyant <strong>au</strong>cun mal, ac<strong>ce</strong>pta volontiers et lui<br />
fournit les instruments indispensables. Lan<strong>ce</strong>lot prit le tout et referma le vitrail, pour qu’on ne<br />
le vît point. Il peignit d’abord la scène où la Dame du Lac l’envoya à la cour d’Arthur, <strong>ce</strong>lle où<br />
il y arriva et où il fut ébloui par la be<strong>au</strong>té de Guenièvre, et <strong>ce</strong>lle où il alla porter secours à la<br />
Dame de Nohant. Il occupa ainsi toutes ses journées à <strong>ce</strong> travail : les peintures étaient si<br />
parfaites et si bien dessinées qu’on eût dit qu’il n’avait fait que <strong>ce</strong>la durant toute sa vie.<br />
Mais, tous les soirs, vers minuit, Morgane venait le voir quand il était endormi. Elle l’aimait<br />
d’un violent amour, plus qu’<strong>au</strong>cune femme ne peut aimer un homme. Elle souffrait de ses<br />
refus et elle le retenait prisonnier non par haine, mais s’accrochant à la pensée qu’un jour il<br />
vaincrait ses répugnan<strong>ce</strong>s et la prendrait pour amie. Lan<strong>ce</strong>lot était le seul homme qu’elle eût<br />
jamais aimé d’un amour profond et absolu. Mais, à voir les peintures que Lan<strong>ce</strong>lot avait<br />
faites, et qu’elle déchiffrait sans peine, elle sombrait dans la mélancolie. Tant que Lan<strong>ce</strong>lot<br />
aimerait la reine Guenièvre, il ne la regarderait pas, et son pouvoir magique demeurerait<br />
sans effet. Tout <strong>au</strong> plus <strong>au</strong>rait-elle pu prendre, elle <strong>au</strong>ssi, l’aspect de Guenièvre, et passer<br />
une nuit avec Lan<strong>ce</strong>lot. Mais Morgane savait très bien que l’effet de ses charmes ne durait