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Ni la reine Sémiramis, <strong>au</strong> temps où elle avait le plus de fortune, ni l’empereur de<br />
Constantinople n’eussent pu en posséder un semblable. Sur le sommet, on pouvait voir un<br />
aigle en or. Quant <strong>au</strong>x cordes qui tendaient les pans de la toile, elles étaient mêlées de fils<br />
d’or. Jamais Lanval n’avait vu une pareille richesse. Les jeunes filles soulevèrent la toile qui<br />
masquait l’entrée et dirent à Lanval d’avan<strong>ce</strong>r.<br />
Il aperçut alors une femme, étendue sur un lit magnifique et vêtue seulement de sa<br />
chemise. Un riche mante<strong>au</strong> de pourpre d’Alexandrie, doublé d’hermine blanche, recouvrait<br />
ses ép<strong>au</strong>les pour lui tenir ch<strong>au</strong>d, mais elle avait le côté découvert, ainsi que la jambe et le<br />
sein. Lanval vit que son corps était splendide, plus blanc que la fleur d’<strong>au</strong>bépine. Il s’avança<br />
en hésitant quelque peu, et la femme l’invita à s’asseoir sur un coussin moelleux qui se<br />
trouvait <strong>au</strong> pied du lit. « Lanval, dit-elle alors, c’est pour toi que je suis sortie de ma terre qui<br />
est bien loin d’ici. Si tu es preux et courtois, il n’est comte, roi ou empereur qui ait connu la<br />
joie qui t’attend. Car je t’aime plus que tout <strong>au</strong>tre être <strong>au</strong> monde. »<br />
Lanval, en entendant <strong>ce</strong>s paroles, se demandait s’il ne rêvait pas. Il ne pouvait s’empêcher<br />
de la contempler, et plus il la contemplait, plus il la trouvait belle et rayonnante. Comment<br />
<strong>au</strong>rait-il pu rester insensible <strong>au</strong> charme de <strong>ce</strong>tte femme mystérieuse qui lui avouait qu’elle<br />
l’aimait, et que pourtant, même en agitant ses souvenirs, il savait n’avoir jamais rencontrée<br />
<strong>au</strong>paravant ? « Belle dame, répondit-il, s’il advenait par bonheur que tu sois sincère en<br />
avouant l’amour que tu me portes, tu ne s<strong>au</strong>rais m’ordonner chose que je ne fasse<br />
immédiatement à ton servi<strong>ce</strong>, que <strong>ce</strong> soit sagesse ou folie. Je ferai tous tes<br />
commandements, même les plus exigeants et les plus fous. Désormais, je renon<strong>ce</strong> à tout<br />
pour toi seule. Je ne souhaite plus qu’une chose, c’est de ne jamais plus te quitter. »<br />
Quand la femme l’entendit ainsi parler, elle comprit qu’il était sincère. Sans hésiter, elle lui<br />
dit qu’elle lui octroyait sa confian<strong>ce</strong> et son amour. Puis, elle lui expliqua qu’elle lui ferait un<br />
don : il pourrait souhaiter quelque chose et l’obtenir immédiatement. Plus largement il<br />
dépenserait, plus il <strong>au</strong>rait d’or et d’argent. Et s’il lui prenait fantaisie d’en distribuer par<br />
poignées à <strong>ce</strong>ux qu’il jugerait le mériter, elle lui fournirait de quoi lui suffire. « Lorsque tu<br />
rentreras en ton logis, tu verras que je ne te mens pas, car déjà tes valets ont de l’or et se<br />
préparent à t’accueillir à ton retour avec la plus grande magnifi<strong>ce</strong>n<strong>ce</strong> qui soit. »<br />
Lanval ne savait quoi répondre. Il se contentait de regarder la femme sans pouvoir<br />
pronon<strong>ce</strong>r un quelconque remerciement. Elle reprit la parole : « Je mets <strong>ce</strong>pendant une<br />
condition à tout <strong>ce</strong>la, dit-elle. Cette condition, elle est essentielle pour toi comme pour moi,<br />
et je te conjure de la respecter. Voici : ne découvre jamais notre amour à personne, ne dis<br />
jamais une parole à quiconque à mon sujet. Si notre secret était connu, tu me perdrais à<br />
jamais ; jamais plus tu ne pourrais me voir ni prendre jouissan<strong>ce</strong> de mon corps. – Certes,<br />
répondit Lanval, je ferai <strong>ce</strong> que tu me commandes et je promets le plus absolu silen<strong>ce</strong> sur toi<br />
et sur notre amour. »<br />
Elle tendit les bras vers lui. Il se coucha sur le lit, tout <strong>au</strong> long de la femme. Il y resta<br />
longtemps, jusqu’à la nuit tombante, et il y serait resté davantage si la dame ne lui avait dit :<br />
« Ami, il f<strong>au</strong>t maintenant te lever, car tu ne peux demeurer plus longtemps. Tu vas t’en aller<br />
tranquillement et regagner ton logis. Mais sache bien <strong>ce</strong>ci : chaque fois que tu souhaiteras<br />
ma présen<strong>ce</strong>, il n’est point de lieu, de <strong>ce</strong>ux du moins où l’on peut re<strong>ce</strong>voir son amie sans<br />
vilenie et sans offense, où je ne me présente à toi, prête à accomplir tes volontés. Sache<br />
encore que nul homme ne me verra, en dehors de toi, et ne pourra entendre mes paroles. »