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les frapper durement. À le voir ainsi plein de courage et de vigueur, le seigneur, qui prisait<br />
fort la bravoure, se radoucit quelque peu et lui demanda qui il était, d’où il venait et<br />
comment il était entré là. Guigemer raconta comment il était venu, parla de la biche blessée<br />
et de la malédiction qu’elle avait jetée sur lui, de sa plaie et du bate<strong>au</strong> qui l’avait conduit <strong>au</strong><br />
pied de <strong>ce</strong>tte cité.<br />
« Je ne crois pas à ton histoire, dit le seigneur. Ce sont là des choses impossibles. Dis-moi<br />
la vérité. – C’est la vérité, répondit Guigemer. – Alors, donne-moi des preuves. Je veux que<br />
tu retrouves le bate<strong>au</strong> sur lequel tu prétends être venu jusqu’ici. Nous verrons bien <strong>ce</strong> qui<br />
arrivera. Je jure, par Dieu tout-puissant, que si une barque arrive dans le port, je te laisserai<br />
partir sain et s<strong>au</strong>f. Libre à toi, ensuite, de te noyer dans la mer. Mais si tu as menti et si<br />
<strong>au</strong>cune barque ne vient te chercher, tu n’échapperas pas à la mort ! » Guigemer fit une<br />
ardente prière et ac<strong>ce</strong>pta la proposition du seigneur.<br />
Ils quittèrent la chambre et des<strong>ce</strong>ndirent vers la mer. Quelle ne fut pas leur surprise de<br />
voir une barque, <strong>au</strong> pied de la muraille. Guigemer, émerveillé, la reconnut bien : c’était <strong>ce</strong>lle<br />
qui l’avait amené. Quant <strong>au</strong> seigneur, prisonnier de son serment, il le laissa aller. Et dès que<br />
Guigemer fut dans la barque, <strong>ce</strong>lle-ci quitta mystérieusement le rivage, sa voile gonflée par<br />
le vent, et se retrouva bientôt en h<strong>au</strong>te mer. Mais s’il avait échappé à la mort, le chevalier<br />
était en proie à la grande douleur d’avoir perdu <strong>ce</strong>lle qu’il aimait plus que sa vie. De plus, il<br />
se sentait plein d’angoisse pour elle, car il ne savait pas comment son vieil époux allait la<br />
traiter pour se venger.<br />
Tandis que Guigemer se lamentait ainsi, la barque entra dans le havre où jadis il l’avait<br />
trouvée, <strong>au</strong> bas du promontoire. Il mit pied à terre et grimpa le long du sentier jusqu’<strong>au</strong><br />
sommet de la falaise. Un valet passait par là à cheval, tenant à la main un destrier qu’il<br />
conduisait. Guigemer l’appela et le valet reconnut son seigneur. Il s<strong>au</strong>ta de sa selle et le<br />
salua avec empressement, puis il lui offrit le meilleur des deux chev<strong>au</strong>x. C’est ainsi que<br />
Guigemer regagna son logis où tous ses vass<strong>au</strong>x et serviteurs se réjouirent de le voir guéri<br />
de sa blessure. Le roi Uryen lui fit fête et, quand il fut en présen<strong>ce</strong> de Morgane, <strong>ce</strong>lle-ci lui<br />
sourit d’un air compli<strong>ce</strong>, mais elle ne dit rien et ne lui demanda rien.<br />
La renommée de Guigemer était grande dans tout le pays, mais il demeurait toujours<br />
triste et pensif. On le pressait de prendre femme, mais il refusait obstinément. À la fin, pour<br />
couper court à toutes les tentatives, il fit savoir que jamais il ne voudrait d’une femme,<br />
quelles que fussent sa be<strong>au</strong>té et ses richesses, qui ne pourrait défaire, sans utiliser la for<strong>ce</strong>,<br />
le nœud qui se trouvait à un pan de sa chemise. Quand la nouvelle se fut répandue,<br />
nombreuses furent les jeunes filles et les dames qui voulurent tenter l’épreuve. Mais, à la<br />
grande dé<strong>ce</strong>ption de tous, <strong>au</strong>cune d’elles ne réussit à défaire le nœud.<br />
Pendant <strong>ce</strong> temps, le vieux seigneur avait réuni ses vass<strong>au</strong>x et prenait leur conseil pour<br />
savoir quel sort il fallait réserver à la dame. On fut d’avis de l’enfermer dans une tour de<br />
marbre gris, sans <strong>au</strong>cune compagnie. Elle y resterait tant que sa vie durerait et on lui<br />
passerait nourriture et boisson par un simple guichet. Tel serait son châtiment pour avoir<br />
trahi son seigneur. Mais <strong>ce</strong> qui c<strong>au</strong>sait le plus de souffran<strong>ce</strong> à la dame, c’était d’être privée<br />
de la présen<strong>ce</strong> de son ami. Son enfermement n’était rien en comparaison de l’angoisse qui<br />
l’étreignait nuit et jour. Elle gémissait sans <strong>ce</strong>sse et se tordait les mains de désespoir. Si elle<br />
avait pu se jeter de la tour dans la mer, elle l’<strong>au</strong>rait fait, tant la vie n’avait plus <strong>au</strong>cune<br />
importan<strong>ce</strong> pour elle. Mais la tour ne comportait qu’une porte et une fenêtre avec de solides