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La Dame de la Fontaine<br />
Le roi Arthur se trouvait à Kaerlion sur Wysg, et il devisait <strong>au</strong>près de quelques-uns de ses<br />
compagnons. Il y avait là Lan<strong>ce</strong>lot du Lac, G<strong>au</strong>vain, fils du roi Loth d’Orcanie, Kaï et Bedwyr,<br />
les plus anciens de ses fidèles, ainsi qu’Uryen Rheged et son fils Yvain, Sagremor, Girflet, fils<br />
de Dôn, Érec, fils du roi Erbin, Galessin, duc de Claren<strong>ce</strong>, qui avait été l’un des derniers<br />
chevaliers à être enfermé dans le Val sans Retour. La reine Guenièvre était avec eux,<br />
entourée de trois de ses suivantes. Quand Morgane fit son entrée dans la salle, chacun lui fit<br />
bonne figure et la salua aimablement. « Ma sœur, dit Arthur, il y a longtemps que nous ne<br />
t’avions vue. Prends pla<strong>ce</strong> parmi nous et raconte-nous <strong>ce</strong> que tu as fait pendant tes longs<br />
mois d’absen<strong>ce</strong>. » Morgane s’assit près du roi Uryen. Elle répondit : « Mon frère, <strong>ce</strong> que j’ai<br />
fait ne regarde que moi. Mais je suis sûre que, parmi tes compagnons, il y en a bien un qui<br />
ait des aventures passionnantes à raconter. – Hélas, non, dit Arthur. Personne n’a rien de<br />
nouve<strong>au</strong> à nous narrer, et tu sais bien que la coutume veut que nous ne prenions pla<strong>ce</strong><br />
<strong>au</strong>tour de la table qu’après avoir entendu le récit de quelques merveilles ou avoir été les<br />
témoins de quelque prodige. – Ce n’est pas ma f<strong>au</strong>te si vous n’avez rien à raconter, dit<br />
Morgane, mais pour ma part, je me tairai. Si je parlais, j’en <strong>au</strong>rais trop à dire, et <strong>ce</strong>la ne<br />
ferait pas plaisir à tout le monde. » La reine Guenièvre regarda Morgane avec inquiétude.<br />
Visiblement, c’était à elle que sa belle-sœur en voulait. Quant à Lan<strong>ce</strong>lot, il paraissait tout à<br />
fait indifférent. Il savait en effet que Morgane ne dirait rien de compromettant sur Guenièvre<br />
et sur lui, par<strong>ce</strong> qu’il ne dirait rien lui-même sur <strong>ce</strong> qui s’était passé <strong>au</strong> Val sans Retour.<br />
« Allons, s’exclama enfin Kaï, il y en a bien un parmi nous qui a une aventure à raconter. Qu’il<br />
parle, sans attendre ! »<br />
On disait qu’il y avait un portier à la cour d’Arthur, mais en réalité il n’y en avait point :<br />
c’était le redoutable Glewlwyt à la Forte Étreinte qui remplissait <strong>ce</strong> rôle. Il re<strong>ce</strong>vait les hôtes<br />
et les gens venus des pays étrangers, leur faisait connaître les manières et les usages de la<br />
cour. Il indiquait à <strong>ce</strong>ux qui avaient droit d’y entrer, la salle et la chambre, à <strong>ce</strong>ux qui avaient<br />
droit <strong>au</strong> logement, leur hôtel. Le roi Arthur était assis sur un siège de joncs verts recouvert<br />
d’une étoffe de soie brochée d’or. Sous son coude, il y avait un coussin de même étoffe, mais<br />
de couleur rouge. « Mes compagnons, dit le roi, en attendant que l’aventure vienne à nous,<br />
ne vous moquez pas de moi, mais je dormirais volontiers quelque peu en attendant le repas.<br />
Quant à vous, continuez à converser, à boire de l’hydromel, à prendre les tranches de viande<br />
que Kaï vous servira. » Cela dit, le roi s’endormit <strong>au</strong>ssitôt.<br />
C’est alors que Glewlwyt à la Forte Étreinte fit entrer un chevalier dont le h<strong>au</strong>bert était<br />
endommagé et qui portait sur le visage les tra<strong>ce</strong>s de nombreux horions. « Voici un homme,<br />
dit Glewlwyt, qui pourrait bien vous divertir avec ses aventures. J’ajoute <strong>ce</strong>pendant que je ne<br />
crois pas un mot de son histoire. – Approche, dit Kaï. Dis-nous qui tu es et d’où tu viens. –<br />
Volontiers, seigneur, répondit le nouvel arrivant. Je me nomme Kalogrenant, et j’ai une<br />
aventure extraordinaire à vous transmettre ! – Enfin ! s’écria Kaï. Je commençais à<br />
m’ennuyer ferme. Viens t’asseoir près de nous. Le roi dort, mais si ton histoire est vraiment<br />
passionnante, nul doute qu’il se réveillera. »