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HISTOIRES D'EAUX ET D'HOMMES

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Veille de fête, jour de tresse. Ayam sait<br />

que ce soir ses doigts n’en finiront plus de<br />

lier et délier cheveux, perles et mèches.<br />

Assise depuis des heures en tailleur sur<br />

sa natte, elle dompte patiemment les<br />

chevelures hirsutes des clientes du jour.<br />

Avec patience et nonchalance. Ayam a travaillé<br />

plusieurs années dans un salon de coiffure, un<br />

vrai avec des casques chauffants, des bigoudis<br />

et des revues de princesses. Alors tresser<br />

les petites cousines dans un coin de cour, c’est<br />

plutôt pour rendre service. Par solidarité, elle va<br />

aussi devoir coiffer les consœurs du groupement<br />

dont elle est un des huit piliers. D’ailleurs,<br />

aujourd’hui, son équipe est de permanence au<br />

centre d’accueil du Parc de Waza. Ce qui lui vaut<br />

quelques aller-retour natte-cuisine pour vérifier<br />

si les trois autres ne sont pas débordées par<br />

le service. Car une des grandes occupations de<br />

Witchékou – nom du groupement des femmes<br />

de Waza – est de tenir le bar-restaurant du<br />

centre d’accueil. Depuis 1997, deux groupes<br />

se relaient semaine après semaine pour assurer<br />

plats chauds et boissons fraîches aux touristes,<br />

experts ou novices venus découvrir la faune<br />

sauvage en aires protégées.<br />

Au gré des saisons, de l’humeur des guides et<br />

de la soif des explorateurs, les clients arrivent au<br />

compte-gouttes ou se ramassent à la pelle. Dans<br />

le doute, on investit peu. Pour les plats cuisinés,<br />

il est vivement conseillé de commander à<br />

l’avance, ne serait-ce qu’une heure, le temps pour<br />

les femmes de boucler leur marathon : partir au<br />

village, choisir la viande sur pied et la graine<br />

à piler, cueillir les condiments au jardin, revenir,<br />

WAZA, FÉMININ PLURIEL<br />

tuer, peler, piler, précipiter, remuer, attiser le feu<br />

puis servir d’un pas au ralenti, ce qui fera croire<br />

à tout jamais au destinataire qu’ici la vie est<br />

si lente, si facile… Parfois, les visiteurs du parc<br />

ne se manifestent devant l’entrée que par<br />

un épais nuage de poussière et quelques<br />

bouteilles vides. Apprendre à prévoir. Elles<br />

ont bien souvent entendu ce conseil. Elles savent<br />

pourtant qu’il faut aussi – et surtout – savoir<br />

improviser l’imprévisible.<br />

Une semaine sur deux, Ayam vient passer ses<br />

journées au centre d’accueil. Des semaines<br />

denses qui demandent un certain sens de<br />

l’organisation et quelques concessions. Levée à<br />

3 ou 4 heures du matin, Ayam dépose ses enfants<br />

chez son père avant de rejoindre le centre. Là,<br />

elle range un peu et balaie en attendant l’arrivée<br />

de ses trois collègues. Parmi elles, la présidente.<br />

Un personnage en cœur et en rondeurs. Amsa<br />

Abbachoua – arabe par son père, bornoua par<br />

sa mère – se dit « sans histoires et à l’abri<br />

des disputes », et pense bien que c’est grâce<br />

à cette réputation qu’on est venu la chercher<br />

pour présider l’association créée sous l’effet<br />

des « réunions », vocable qui, ici, s’applique aussi<br />

bien aux initiateurs qu’aux actions, rencontres<br />

ou moyens. Ainsi, quand les « réunions » ont<br />

montré qu’il était possible d’améliorer la situation<br />

en s’unissant, une bonne poignée de femmes<br />

se sont portées volontaires pour mettre en place<br />

un groupement économique que les bienfaiteurs<br />

se proposaient de soutenir. D’une quinzaine,<br />

on est rapidement descendu à huit. L’influence<br />

des maris, la charge de travail à la maison et le<br />

manque de persévérance ont eu raison d’emblée<br />

de quelques-unes d’entre elles. Maintenant,<br />

chacune a sa part et l’on ne souhaite pas agrandir<br />

le cercle. « Chacune a son cœur, commente Ayam,<br />

mais c’est bien d’être ensemble. » Les femmes<br />

de Witchékou se partagent à titre individuel<br />

les bénéfices du restaurant mais cotisent pour<br />

le fonds commun de l’association. Ce fonds<br />

permet de subvenir aux besoins extraordinaires<br />

de l’une ou de l’autre, mais sert surtout aux<br />

innovations collectives. L’idée de l’année, c’est<br />

l’installation d’un magasin. Un hangar de stockage<br />

qui permettra d’acheter à bas prix mil, riz, maïs,<br />

et puis d’attendre paisiblement que les prix<br />

flambent pour remettre en vente les céréales<br />

quelques mois plus tard. Une stratégie d’écureuil,<br />

très classique certes, mais qui, ici, bénéficie<br />

essentiellement aux hommes. L’argent cotisé<br />

a constitué un apport suffisant pour qu’une<br />

bienveillante association étrangère finance<br />

le « complément » permettant de construire en<br />

dur et en tôle le fameux bâtiment. Les femmes<br />

du groupement se sont bien mis d’accord : libre<br />

à chacune d’y stocker ses propres produits. Car<br />

Witchékou – littéralement : cœur uni – n’est pas<br />

là pour asservir l’individu au groupe.<br />

Si le fonctionnement est plutôt communautaire,<br />

les ambitions se révèlent bien personnelles.<br />

Se sentir autonome, avancer soi-même, un<br />

préalable pour ensuite avoir e0nvie de partager<br />

sa route, ses acquis, ses espoirs.<br />

Comme beaucoup de gens, Ayam se demande<br />

souvent qui elle est. À défaut de pouvoir y<br />

répondre, elle sait désormais qui elle veut être :<br />

la première coiffeuse en salon de Waza-village et<br />

environs. Et connaît aujourd’hui les moyens<br />

d’y parvenir.<br />

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