You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
souciait guère : jugée hostile, isolée, insalubre, infestée de<br />
moustiques, la plaine de Waza Logone n’avait jamais attiré les<br />
décideurs d’œuvre civilisatrice, de planification nationale ou<br />
d’intervention internationale. Ce chantier démesuré venait<br />
massivement contredire ce désintérêt. Confondus par les résultats,<br />
les grands décideurs n’ont pas insisté et n’ont plus rien<br />
proposé. Largement dépourvus d’écoles, de soins de santé, de<br />
moyens d’information, d’équipements, les villages de la plaine<br />
auraient pourtant besoin de sérieux coups de main. Le Projet<br />
Waza Logone a été quasiment le seul à tenter de répondre aux<br />
sollicitations, tellement légitimes, qui souvent sortaient de son<br />
champ.<br />
Dans des sociétés où, en temps normal, hiérarchies et interdits<br />
sont souvent source d’intransigeance et de rigueur, de tels<br />
bouleversements, de telles agressions ne font qu’exacerber la<br />
rudesse des comportements, jusqu’à l’injustice et la délinquance.<br />
La souffrance devant ce mauvais sort a fait sauter les<br />
balises qui assuraient la paix et l’altruisme. Les plus forts se sont<br />
vengés sur les plus faibles, les plus riches ont trouvé des<br />
brèches au détriment des plus pauvres. Les petits éleveurs, les<br />
petits pêcheurs n’ont pas de marge, dans ces cas-là, pour assurer<br />
le quotidien. Les petits paysans sont devenus manœuvres.<br />
Au sein de la famille, de la communauté, les femmes ont trinqué<br />
en premier. Un peu plus asservies, trop faibles pour avoir l’idée<br />
de tenir tête.<br />
Les dernières années du siècle ont vu grimper l’insécurité dans<br />
toute la province de l’Extrême-Nord. Les bandits de grand<br />
chemin détroussaient à tout va marchands, voyageurs et autres<br />
sillonneurs de brousse. Un motif de plus, et pas des moindres,<br />
pour délaisser la région. Les gens du Sud, fonctionnaires ou<br />
hommes d’affaires, espaçaient ou annulaient leur visite ; les<br />
étrangers, coopérants ou touristes, se voyaient conseillés d’éviter<br />
les lieux. Dans cette région étroite bornée par deux frontières<br />
– celles du Tchad et du Nigeria –, le banditisme a tôt fait<br />
d’être imputé aux étrangers. On est volubile sur les mercenaires<br />
désœuvrés, mais encore bien armés, après les conflits qui sévirent<br />
au Tchad, et sur certains réseaux de contrebande nigériane.<br />
On est plus discret sur le personnel local, qui ne s’est pas<br />
fait prier pour seconder ou concurrencer les premiers. Ces<br />
années-là, le nord de la région a connu ses jours de guerre. Pour<br />
des motifs simples à vue d’œil, Arabes choa et Kotoko se sont<br />
déchirés. L’armée s’en est mêlée. Un accident comme une<br />
pierre de plus au chaos de la plaine.<br />
Si, dans les années 1980 et 1990, la plaine a vécu âprement les<br />
conséquences abruptes d’une terrible controverse entre<br />
l’homme et la nature, il est aujourd’hui toujours des domaines<br />
où le malaise fait rage. On serait plus en paix avec son milieu<br />
naturel. Mais l’environnement social, humain, est encore loin de<br />
permettre aux gens de la plaine de Waza Logone de bien vivre<br />
et d’être en harmonie. L’Éducation nationale, la Santé publique,<br />
les programmes d’aide publics et privés sont loin d’offrir aux<br />
gens le choix entre savoirs traditionnels et savoirs modernes.<br />
Naître et vivre dans la plaine limitent les chances d’avoir une vie<br />
longue et confortable, d’accéder autrement que par la radio<br />
ou la télévision – quand on arrive à « capter » – à une culture<br />
nationale ou mondiale, de dépasser le seuil de la pauvreté. Non<br />
pas celui qui se compte en dollars abstraits, mais celui, bien<br />
concret, qui consiste à savoir que l’on mangera toute l’année et à<br />
faire, même, quelques sages projets.<br />
45