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Vraiment, quel régal ! Est-ce les poissons<br />
qui sont si bons ou bien est-ce le talent d’une<br />
cuisinière hors pair ? On opte pour la seconde<br />
proposition. On sait que le secret réside dans la<br />
cuisson : des sardines très fraîches saisies dans<br />
de l’huile de sardine extraite le jour même. Un<br />
plat qui vous laisse sans voix. Celui qui suit n’est<br />
pas mal non plus. Riz au poisson, sauce gombo.<br />
Classique et succulent. Après quelques bonnes<br />
bouchées, les convives reprennent les débats.<br />
Si cette année la pêche est bonne, qu’on<br />
commande la kola, les noces seront nombreuses.<br />
La boutade est pour Moussa, encore célibataire.<br />
C’est pour bientôt, ou bien ? « Bon, je cherche,<br />
mais je n’ai pas encore tout à fait trouvé. » Vous<br />
savez ce qu’il faudrait ? « C’est que le sultan<br />
fasse comme il a fait l’année surpassée. » Cette<br />
année-là, il a usé d’un de ses droits coutumiers<br />
pour décréter qu’à Zina chaque jeune fille<br />
kotoko en âge de se marier choisirait elle-même<br />
son homme à épouser. Une pratique originale<br />
qui conviendrait plutôt bien au grand timide.<br />
De cette façon, la dot est dérisoire, disons :<br />
le prix d’un pagne. Mais si l’élu refuse, il devra<br />
payer, pour se libérer, le montant d’une vraie<br />
dot qui ira tout droit dans les recettes publiques.<br />
Quelle drôle d’idée… Chez les Mouzgoum,<br />
on fait aisément savoir à quel prix on a gagné<br />
sa femme ; plus c’est cher plus le prestige est<br />
grand. Et en additionnant les dots, on se couvre<br />
de gloire. Chez les Peul aussi, mais plus<br />
discrètement. La discussion tourne à la dérision<br />
les us et coutumes des différentes communautés.<br />
On ironise sur les voisins, sans oublier de<br />
se mettre en cause. En vérité, ces histoires de<br />
mariages ne font pas toujours rire. C’est bien<br />
compliqué et décourageant pour les<br />
célibataires. Pour les hommes mariés, ce<br />
n’est pas gagné non plus, car le divorce plane<br />
désormais aussi sur les ménages de la plaine.<br />
Vous vous souvenez de la femme de « Chose »,<br />
et bien elle en avait assez des tracasseries<br />
de son mari. Alors, un soir, elle a déposé son<br />
préavis, comme il se doit, devant deux témoins,<br />
elle a dit à son époux qu’elle retournait dans sa<br />
famille. Il a continué à faire la forte tête, mais,<br />
à la veille de la date fatidique, il s’est déclaré<br />
prêt à récupérer l’épouse. Un sursaut, un<br />
remord, la peur aussi de ne pas revoir de sitôt<br />
son enfant. Bref, il s’était décidé et avait même<br />
préparé la phrase idéale : de quoi émouvoir<br />
la belle sans trop la surprendre – il ne faudrait<br />
tout de même pas qu’elle ait le dernier mot.<br />
Arrivé au village, il essuya quelques regards<br />
goguenards. Il cosmprit son malheur en arrivant<br />
chez son beau-père qui lui fit comprendre<br />
promptement que, s’il voulait voir son ex-femme,<br />
il lui faudrait solliciter un rendez-vous. Le délai<br />
de trois mois étant expiré, il lui faut désormais<br />
reprendre la procédure en bonne et due forme.<br />
« Ah, j’oubliais, ajouta le père, tu n’es pas le<br />
premier, deux autres prétendants ont déjà<br />
annoncé leur candidature. Prends donc ton tour,<br />
on verra bien ce que dira ta belle. » Aïe aïe aïe !<br />
Comment a-t-il pu se tromper de jour comme<br />
ça. Mois lunaires, mois calendaires, ça doit être<br />
une erreur de ce genre. Eh bien, savez-vous ce<br />
qu’il a fait le bougre ? Il a pris la file d’attente,<br />
les yeux baissés, tout simplement, et a imploré<br />
le ciel puis le père puis la belle quand est venu<br />
son tour. Et elle, elle fut tellement émue qu’elle<br />
lui a dit oui une seconde fois. Côté dot, on ne<br />
l’a pas épargné, il a dû donner au père toutes<br />
ses économies. »<br />
L’histoire a rendu pantois tous les convives.<br />
On conclut hâtivement qu’en mariage il faut<br />
savoir compter, et avaler sa fierté si nécessaire.<br />
Bon, parlons d’autre chose, d’un sujet plus léger,<br />
plus rond. Du ballon. On sera prêt pour la Coupe<br />
d’Afrique des Nations et on va remporter<br />
le trophée. Consensus sur l’équipe nationale.<br />
Des héros, des surhommes, des vainqueurs.<br />
En un mot, de vrais Camerounais. Sur les matchs<br />
régionaux, c’est plus délicat, il y a quand<br />
même des équipes meilleures que d’autres,<br />
non ? Quant à l’intervillage, on frôle la foire<br />
d’empoigne. Pour calmer le jeu, l’un des<br />
visiteurs demande des nouvelles du terrain<br />
de Zina. A-t-on enfin posé les poteaux ? Non,<br />
rien n’a avancé depuis son dernier passage.<br />
L’endroit choisi est inondé, on s’en doutait.<br />
Pour certains, ce n’est pas un problème, on<br />
jouera en saison sèche. Pour d’autres, plus<br />
mordus, il faut absolument trouver un autre site ;<br />
iI y en a bien un, mais pour l’instant on n’est<br />
pas certain qu’il appartienne à la municipalité.<br />
Et derrière le canal ? Près du futur collège ?<br />
Il y a des campeurs qu’on tolère depuis<br />
des années. « Eh bien, on n’a qu’à les<br />
exproprier, les reloger, les payer, je ne sais<br />
pas moi, il y a bien une solution. Les jeunes<br />
attendent. C’est leur passion. On ne leur a<br />
pas promis une mare… »<br />
Celui qui vient de parler a mis le point final.<br />
Il se fait tard. Derniers sourires, poignées<br />
de amin « À bientôt », et, dans la nuit,<br />
le dernier mot : « On est ensemble. »<br />
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