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Les résidents, les transhumants et les nomades qui connaissent la plaine<br />
de Waza Logone et qui prétendent détenir sa mémoire historique font<br />
tous des récits aux styles différents mais concordants sur sa splendeur et<br />
sa richesse naturelle.<br />
Ils parlent tous des inondations annuelles toujours abondantes qui favorisaient<br />
des pêches extensives et intensives fructueuses ; de la riziculture<br />
flottante, peu contraignante pour l’homme, qui fournissait de bons rendements<br />
et complétait une alimentation déjà équilibrée par le mil rouge et le<br />
mil de contre-saison accompagné des sauces succulentes de gombo et<br />
de folléré ; de l’élevage prospère dont la production de lait et de protéines<br />
animales dépassait le cadre de l’autoconsommation pour contribuer<br />
aux échanges commerciaux dans la plaine et au-delà des frontières<br />
nationales ; et de la faune sauvage qui exploitait sa niche écologique sans<br />
créer de relations conflictuelles avec les communautés locales.<br />
Ils se souviennent aussi tristement des années difficiles rythmées par des<br />
pluviométries faibles avec une incidence négative sur les systèmes<br />
productifs et la biodiversité. Mais ils considèrent cette situation avec fatalité<br />
et la lient à la colère de Dieu.<br />
En revanche, ils critiquent avec véhémence la construction du barrage de<br />
Maga. Pour eux, c’est l’emprisonnement de l’eau nécessaire à leurs<br />
besoins vitaux en aval et à la productivité des écosystèmes naturels. C’est<br />
aussi l’occupation sans négociation et sans compensation de leurs riches<br />
terres agricoles ; c’est l’assassinat de la transhumance, du nomadisme<br />
chers aux pasteurs de la région ; et c’est enfin la dégradation dangereuse<br />
de l’environnement.<br />
Pourtant, nuance l’un d’eux, l’idée du gouvernement camerounais et de<br />
ses partenaires financiers n’était pas mauvaise : ils recherchaient une<br />
alternative à une sécheresse insupportable qui accablait et détruisait tout<br />
sur son passage, et ils voulaient développer la riziculture afin de compenser<br />
le déficit alimentaire dans la région. Ce qu’il déplore, c’est l’absence<br />
d’une évaluation environnementale et sociale qui, réalisée, aurait limité les<br />
dégâts actuellement constatés.<br />
POSTFACE<br />
Les habitants de la plaine de Waza Logone pensent que les interventions<br />
techniques menées depuis 1992 par l’Union mondiale pour la nature<br />
(UICN) et ses partenaires (SNV, CML) et soutenues financièrement par la<br />
DGIS, le WWF et l’Union européenne ont apporté un changement positif à<br />
leurs conditions de vie et à la biodiversité du Parc national de Waza. Ils<br />
pensent aussi que la restauration progressive se concrétise et ils rêvent<br />
d’une plaine entièrement réhabilitée.<br />
Malgré la glorieuse période du passé évoquée avec nostalgie, ils pensent<br />
que la situation n’est plus et ne sera plus jamais la même. Ils s’accommodent<br />
des différents conflits nés des inondations partiellement rétablies. La<br />
pression démographique, l’injustice sociale et la divergence des intérêts<br />
sont des nouvelles données qui, bien qu’ayant été toujours présentes,<br />
s’amplifient et inquiètent.<br />
Ils demandent à l’UICN et à ses partenaires de poursuivre le programme<br />
de la réinondation et de les accompagner dans la réflexion sur les différentes<br />
options fiables et viables pour leur développement durable.<br />
Cette requête a été analysée et approuvée ; c’est pourquoi, actuellement,<br />
l’UICN et ses partenaires non seulement développent un plan de consolidation<br />
des acquis et de transfert des responsabilités de la gestion de la<br />
plaine aux structures de relève, mais aussi identifient des actions additionnelles<br />
aptes à garantir la restauration maximale et à éloigner la<br />
pauvreté que les communautés considèrent comme indésirable.<br />
La présence de l’UICN et de ses partenaires est tellement bien perçue<br />
dans la zone qu’à la moindre rumeur de désengagement la population<br />
crie haut et fort que l’on ne change pas une équipe qui gagne, et rappelle<br />
que la mission telle que définie à l’origine n’est pas encore terminée.<br />
Lorsque je retourne dans la plaine pour assurer le suivi et l’évaluation de<br />
la Cellule d’appui à la conservation et aux initiatives durables du développement<br />
dans la région de Waza Logone (CACID), née des cendres du<br />
Projet Waza Logone, les communautés locales avec qui j’ai tissé des relations<br />
d’amitié me disent avec humour, mais non sans fermeté : « Monsieur<br />
le Directeur, ne nous abandonne pas. »