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J<br />
DE MÉMOIRE D’ UN COMMANDANT<br />
amais il n’y est retourné. Depuis, il a sillonné On s’est croisé : le matin où j’ai quitté<br />
le monde. Diplomate çà et là, il a amassé définitivement les lieux, j’ai appris qu’un<br />
titres, honneurs et amis de prestige en toute troupeau venait de traverser le fleuve.<br />
modestie. Sa carrière de globe-trotter a vu<br />
le jour au Cameroun, d’abord comme<br />
On connaissait déjà le braconnage, mais<br />
administrateur en capitale, puis en tant que comme le gibier était abondant, ce n’était<br />
commandant de la province de l’Extrême-Nord. pas une priorité. On était encore à l’abri du<br />
Il avait alors trente-deux ans. Ses plus belles banditisme qui sévissait au Nigeria. De toute<br />
années ont les couleurs, les sons, les odeurs façon, il n’y avait pas de route, on patrouillait<br />
des yaérés et du Logone.<br />
au pifomètre à travers les forêts d’acacias.<br />
Cinquante ans plus tard, comme un vieux sage Et puis il y avait ces braconniers de prestige,<br />
sur une place de village, Guy Georgy déterre intouchables. Je veux parler des militaires<br />
de sa mémoire quelques morceaux choisis. français basés au Tchad qui venaient se défouler<br />
Son accent roule sur les souvenirs, les fait<br />
dans la réserve de Waza. Ils passaient la<br />
revivre, les tourmente, les malmène peut-être frontière le soir, chassaient toute la nuit.<br />
aussi. Un passé revu au grand angle, à la lumière Ils rentraient au su et au vu de tous avec<br />
d’une vie entière d’humanisme et de curiosité. des cargaisons de viande. À mes plaintes,<br />
De passion ensoleillée d’humour, de savoir-être leur commandant rétorquait : “Monsieur,<br />
teinté d’humilité.<br />
Fragments d’un entretien sans bride :<br />
mes gars ne sont pas des mauviettes. Il leur<br />
faut de la viande rouge.”<br />
Je me souviens de Niwadji. Chaque année,<br />
La plaine était truffée d’animaux sauvages. les Peul se retrouvaient là, lors de la montée<br />
Je me souviens surtout du léopard. Certains des eaux.Vous n’imaginez pas ce que peut<br />
étaient hauts comme des tigres. Les paysans être le bruit de quatre cents milliers de bœufs,<br />
les chassaient avec des pièges en câble de on aurait dit une mer, le grondement d’un océan.<br />
frein de bicyclette. On tuait à tour de bras ces La fête durait trois jours. Les jeunes Mbororo,<br />
gros félins qui s’approchaient imprudemment parés comme des dieux, exécutaient leurs<br />
des troupeaux et des villages. Beaucoup<br />
danses : il y avait la danse du lion, la danse<br />
de phacochères aussi, des cobs de buffon,<br />
du papillon et celle des sabres. Un ballet pour<br />
des bubales. On a eu des problèmes avec<br />
les girafes. Pour préserver le troupeau, il a<br />
vénérer la faune et remercier la flore.<br />
fallu les vacciner contre la fièvre aphteuse,<br />
À la vue des vastes plaines inondées par la<br />
ce n’était pas une mince affaire ! J’ai entendu crue annuelle du Logone, je rêvais de digues,<br />
parler des ravages des éléphants. À mon<br />
de casiers aménagés et de rizières. Avec mon<br />
époque, il n’y en avait pas dans la plaine.<br />
camarade qui gouvernait la région voisine