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HISTOIRES D'EAUX ET D'HOMMES

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de semences en pépinière. Les deux récoltes<br />

par an prévues au programme n’étaient plus<br />

qu’un souvenir. Avec les moyens du bord, en<br />

s’entraidant, on venait à bout d’une récolte<br />

qui s’avérait médiocre. Édouard comprit vite<br />

qu’il ne bouclerait pas son budget avec son<br />

seul et unique piquet. Pendant deux ans, il fit,<br />

en complément, le « taxi-moto clandestin ».<br />

Roulant à fond sur la digue, il voyait le barrage<br />

autrement et s’en amusait. La quête du client<br />

était pour lui un bon alibi pour se rendre chaque<br />

jour avant le crépuscule à Pont-Central, nerf<br />

de l’ouvrage à l’embouchure du Mayo Vrik. Dans<br />

le fracas assourdissant des eaux, il passait voir<br />

les pêcheurs, examinait les vannes, s’enquérait<br />

à l’occasion du moral des riverains. Dans<br />

ce quartier à fleur d’eau, des pêcheurs de toute<br />

part côtoient sans heurt apparent ces gens aux<br />

mœurs étranges, qu’on appellent « mahabous ».<br />

Les hommes, au nom de Dieu, ont la manie<br />

de voiler ou plutôt d’emballer leurs femmes<br />

dans de grands sacs de toile noire percés<br />

d’un œilleton.<br />

À la saison des pluies, le quartier est assailli<br />

d’angoisses. Maga dam, ce monstre aux pieds<br />

fragiles, aux rides prématurées, va-t-il résister ?<br />

Ne va-t-il pas craquer sous les assauts effarouchés<br />

de l’eau ? On sait bien qu’une poignée<br />

de secondes suffirait à celle-ci pour engloutir,<br />

terrasser, pulvériser tout le faubourg.<br />

Il faut dire qu’on ne manie pas les vannes très<br />

souvent, question de méfiance, d’inconnue<br />

ou de compétence. Dès sa naissance, l’ouvrage<br />

a conseillé qu’on ne le touche qu’avec<br />

prudence et parcimonie. Bref, qu’on l’utilise<br />

le moins possible.<br />

Édouard connaît assez bien les mauvais coups<br />

du barrage. Après son expérience de taxi-man,<br />

il fit l’animateur dans un programme de<br />

développement qui visait justement à trouver<br />

des solutions pour faire revenir l’eau et la vie<br />

dans la plaine. C’était passionnant, vraiment,<br />

utile et concret. Le projet a fermé, c’était dans<br />

l’ordre des choses. Alors, depuis et pour<br />

l’instant, Édouard vit uniquement de son piquet.<br />

On ne peut pas dire que les paysans soient bien<br />

aidés en ce moment, le temps de l’assistanat est<br />

révolu et chacun cultive à sa sauce. Il faut payer<br />

les semences, les engrais, entretenir ses canaux<br />

et son matériel, et ne pas oublier de prier fort<br />

deux fois par an pour que la société sorte à<br />

temps ses engins de labour. Un peu de retard<br />

et la saison est gâtée pour tout le monde. C’est<br />

assez fréquent, c’est une des raisons pour<br />

lesquelles la seconde récolte annuelle est<br />

bien incertaine. Chaque saison connaît ses<br />

problèmes. La récolte de saison sèche, de loin<br />

la plus abondante, est souvent contrariée par<br />

les oiseaux. L’hypothétique récolte de saison<br />

des mauvaises herbes, enfin celles comme le<br />

bourgou, qui n’ont rien à faire dans les parcelles<br />

de riz. Avec deux récoltes et beaucoup de<br />

sérieux, Édouard espère pouvoir vivre, mais<br />

il ne se fait plus d’illusions sur son avenir<br />

de riziculteur. À part les multiparcellaires bien<br />

placés, comme à Tékélé par exemple, il ne faut<br />

pas rêver de faire fortune en cultivant le riz<br />

du barrage.<br />

Édouard envisage aussi de reprendre le riz<br />

flottant. La pêche ? Non, vraiment ce n’est pas<br />

son domaine. Son séjour au projet lui a donné<br />

envie de créer plus de liens entre les paysans.<br />

Avec plus d’idées partagées, et une pointe de<br />

pression, on pourrait faire bouger les choses…<br />

Un peu plus haut dans la plaine, on a réussi<br />

de belles choses avec les gens asséchés. Ici,<br />

en territoire irrigué, l’eau, ce n’est pas le<br />

problème, on l’a apprivoisée, elle n’a jamais<br />

manqué. Le problème est de savoir où s’est<br />

plantée l’épine, pourquoi travailler tant, vivre<br />

médiocrement, sans terre à soi, sans pouvoir<br />

faire de choix. « Ce qui tue l’antilope est dans<br />

sa propre patte. » Les yeux sur Maga dam,<br />

un vieux sage a parlé.

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