You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
ÀPatmangaï et alentours, Ibrahim Assana<br />
vit de terre et de médecine. La terre<br />
c’est une affaire de famille, mais la santé,<br />
c’est son domaine à lui. Une passion<br />
en quelque sorte, qui s’accroche à sa<br />
vie comme les jacinthes dans les cours<br />
d’eau. Ibrahim n’est pas vraiment docteur, pas<br />
encore en tout cas. Pour l’heure, il est dokta.<br />
Entendons : agent de santé improvisé,<br />
prescripteur-fournisseur de médicaments en<br />
tout genre et en couleur. Et qui, à l’occasion,<br />
se lance aisément dans la petite chirurgie.<br />
Ibrahim n’est pas homme à courir après<br />
les diplômes. Soigner… quoi de plus concret ?<br />
Un métier de main et d’esprit, un artisanat<br />
sur matière humaine. Quand la substance<br />
s’avère fragile, l’homme de soins suit sa bonne<br />
conscience, celle qui lui indique de confier<br />
l’ouvrage à plus qualifié, ou à mieux équipé.<br />
C’est le cas des enfants et de ces maux bizarres<br />
non inscrits à son répertoire. La typhoïde est<br />
son cauchemar. Ibrahim opte avant tout pour<br />
la sécurité, un euphémisme dans ce coin de<br />
plaine où il ne fait pas bon être malade. Il faut<br />
dire que le dokta s’y prend sacrément bien pour<br />
évacuer les souffrants et les blessés. Rapide,<br />
efficace, un vrai secouriste. C’est d’ailleurs à<br />
la Croix-Rouge qu’il doit sa formation initiale.<br />
C’était à l’hôpital de Guider, bien au sud de<br />
la plaine, il y a quelques années. Il compte<br />
parmi ses cousins un médecin en titre, pédiatre<br />
averti et chef du bloc opératoire. Après la<br />
formation, le grand frère bienveillant l’a pris<br />
en stage quelques mois. Depuis, chaque année,<br />
Ibrahim part un à deux mois se recycler à<br />
DOKTA À PATMANGAÏ<br />
Guider. Il profite du déplacement pour<br />
réassortir les quelques malles qui lui tiennent<br />
lieu de pharmacie. Il se fournit désormais à<br />
la Société d’industrie pharmaceutique pour<br />
les médicaments génériques, et arpente<br />
boutiques et marchés pour les produits<br />
importées les plus prisées. Ainsi propose-t-il<br />
à ses chalands antibiotiques, antiseptiques,<br />
antitussifs, barbituriques, amphétamines,<br />
vermifuges, baumes à tout faire, sans oublier<br />
quinine et dérivés.<br />
En ce moment, les comprimés contre les<br />
migraines et les petites fièvres se vendent très<br />
bien. Un luxe dans ces villages de pêcheurs où<br />
l’on ne se ménage pas. Les maladies affluent au<br />
rythme de la crue ; en première ligne émergent<br />
malaria et pneumonie. Les capsules de dopage<br />
concurrencent sérieusement la noix de kola et<br />
font des merveilles pendant les grandes pêches.<br />
Presque plus besoin de dormir, et quelle<br />
énergie ! Le dokta a pour point d’honneur<br />
de sensibiliser ses clients sur les risques<br />
d’un surdosage. D’ailleurs, il n’en vend pas<br />
forcément au premier venu. Pour le paludisme,<br />
Ibrahim commence à avoir du métier. Soignant<br />
de proximité, il peut suivre l’évolution des<br />
symptômes et va souvent lui-même aux<br />
nouvelles de ses malades. Il cultive d’excellentes<br />
relations avec le centre de santé de Tékélé.<br />
L’agent, constamment en rupture de stock, vient<br />
s’approvisionner chez le dokta. Pour l’instant,<br />
Ibrahim ne souhaite pas s’aventurer dans<br />
la fonction publique. Bien sûr, si le village se<br />
dotait à nouveau d’une case-santé, il pourrait<br />
faire un effort, mais ce n’est plus à l’ordre<br />
du jour depuis que le comité de développement<br />
a fait faillite. Ici, à Patmangaï et environs, il est<br />
le seul à bord et ne se plaint pas de son sort.<br />
Mais en toute sincérité, sa motivation dépasse<br />
la simple envie de gagner décemment sa vie.<br />
L’homme veut avant tout être utile, et, là,<br />
il a trouvé son créneau.<br />
Dans la plaine encore plus qu’ailleurs,<br />
l’équipement sanitaire est une vraie peau de<br />
chagrin : si peu de centres, si peu de personnel,<br />
si peu de pharmacies. Les doktas apportent<br />
à leur façon une solution. Bien sûr, ce n’est pas<br />
la meilleure, et Ibrahim est bien d’accord.<br />
Mais, en attendant mieux, il apaise les douleurs<br />
et sauve – par art ou par hasard – quelques<br />
vies de pêcheurs.<br />
73