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E<br />
MIL, MIEL <strong>ET</strong><br />
n ces premiers jours de mars, les dés<br />
sont jetés pour l’année. Les paysans<br />
de N’Diguina font un premier bilan de leur<br />
saison. La terre est en poussière et les<br />
champs mis à nu ont un air d’après-fête.<br />
Une récolte au goût amer. Les épis encore<br />
SERVITUDES<br />
venus de nulle part se sont posés sur les champs<br />
de mil et de mousquari. Après la première<br />
attaque, les paysans de bonne volonté ont repiqué<br />
ce qu’il restait. Une aubaine pour les criquets qui<br />
se sont mis à table une nouvelle fois à la vue<br />
des jeunes pousses. Les paysans, pour le moins<br />
roses se balançaient, insouciants, quand<br />
acharnés, ont encore repiqué. Et à nouveau les<br />
une horde d’éléphants décida un beau matin criquets ont croqué les tiges si vertes, si tendres.<br />
d’investir les lieux. Sans état d’âme apparemment. À N’Diguina, cette année-là, on a repiqué quatre<br />
Ils n’ont rien emporté, ou presque. Ils sont<br />
fois. L’homme n’a rien pu faire, c’est le froid,<br />
juste passés et ils ont tout cassé. Du vandalisme le froid des tout premiers jours de l’année, qui<br />
organisé, chacun piétinant sa rangée en<br />
les a chassés. Ici, on ne comprend rien aux<br />
barrissant à l’unisson. Les paysans ont accouru, criquets, on ne connaît rien d’eux si ce n’est leur<br />
les bras en l’air ; les mieux armés brandissaient incroyable tableau de chasse. On sait aussi que,<br />
des gourdins enflammés sous les cris stridents lorsqu’ils s’attardent sur le terroir, ils pondent<br />
des femmes et des enfants. Les éléphants sont des milliers d’œufs. Des natifs bien plus voraces<br />
partis puis revenus. En tout, plus de cinquante que les criquets voyageurs. Il faudrait pouvoir se<br />
parcelles ont été dévastées, complètement débarrasser des œufs avant qu’ils éclosent,<br />
nettoyées, sans compter les champs à demi<br />
touchés. Les gardes-chasse ne se sont pas<br />
mais on ne sait pas encore comment s’y prendre.<br />
dérangés. Plus de poudre dans leur fusil, alors Mauvaise année donc, pour le mil rouge<br />
pourquoi se déplacer ?<br />
de N’Diguina. Moussa, grand cultivateur, se<br />
contentera de quarante sacs de grain, un maigre<br />
Après les éléphants vint le tour des quelea<br />
rendement comparé aux deux cents sacs<br />
quelea, de vrais stratèges en attaque aérienne. engrangés l’an dernier. Ce n’était pas la peine<br />
Comme d’habitude, ils sont arrivés l’air de rien, qu’il s’offre un nouveau grenier. Pour Ibrahim,<br />
ont resserré les rangs et se sont abattus sans quinze sacs. À peine de quoi suffire à ses épouses<br />
merci sur les parcelles. Grains, tiges, feuilles, pour servir les repas des six premiers mois. Pour<br />
tout y est passé. Des oiseaux à peine plus gros la seconde moitié de l’année, il faudra se rendre<br />
qu’un pouce, qui jouent les terreurs et défient au marché acheter le mil des autres. Il se plaint<br />
épouvantails, clochettes, cris et crécelles. Chez le moins possible, évitant d’offenser ses deux<br />
les hommes, toute la famille s’y met, on s’égosille cousins qui, eux, n’ont pas récolté un grain.<br />
ou gesticule pendant des heures pour limiter Il faudra être solidaire ou charitable. Offrir<br />
les dégâts. Cette année, les criquets ont cru bon quelques mesures de mil aux plus démunis.<br />
d’éviter N’Diguina. On se souvient du désastre de Vendre à bas prix et à crédit quelques sacs aux<br />
l’année surpassée : des nuages noirs et crépitants voisins sinistrés. On compte sans trop le cacher