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HISTOIRES D'EAUX ET D'HOMMES

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Quand la vie se fait dure et la nature hostile. Quand<br />

l’équilibre est rompu et qu’il faut subir les aléas d’un<br />

climat moins clément et d’un milieu violenté par la<br />

main humaine. C’est le temps de pâtir des mauvais<br />

penchants de son environnement. Perdre l’équilibre<br />

et ne plus trouver de prise. Perdre ses biens, égarer ses repères,<br />

ses valeurs. Quand la plaine n’a plus rien à donner, tous ceux<br />

qui peuvent se mouvoir s’en vont. La vie végétale devient morne<br />

et sèche. Des temps de rigueur, où ceux qui restent souffrent<br />

physiquement d’un présent devenu trop rude, où ceux qui<br />

partent souffrent moralement de cette constante nostalgie<br />

d’avoir quitté leur plaine si généreuse en d’autres temps.<br />

L’avènement des phénomènes naturels est un sujet qui a encore<br />

quelques siècles de mystères ; en revanche, le massacre de l’environnement<br />

du fait de l’homme a, sur le fond, bien peu d’inconnues.<br />

Un désir de changer la nature, comme un sixième sens<br />

chez l’homme. Tant que les moyens dont il dispose sont limités,<br />

il agit à petite échelle et ménage un compromis entre lui-même<br />

et son environnement. Mais quand son outillage lui permet de<br />

mettre en pratique ses idées de puissance, il est capable d’oublier<br />

le respect de base qu’il doit à la nature et à son prochain.<br />

Ainsi, depuis quelques décennies, la plaine inondable a été<br />

sérieusement défiée, et par les cieux et par les hommes.<br />

Abandonnée au chaos du temps et aux lubies humaines, elle n’a<br />

pu se relever assez tôt pour en sortir indemne. Des sécheresses,<br />

on en a toujours connu dans la région. Il n’est pas une vie<br />

d’homme sans un souvenir de terre craquelée et de troupeaux<br />

faméliques. Des années de petites pluies et de faibles crues.<br />

Mais des sécheresses comme celles des années 1970 et 1980,<br />

ça non, jamais. Elles ont touché tout le Sahel, ont jauni et ridé la<br />

moitié de l’Afrique.<br />

Et puis, surtout, il y eut ce barrage. Le barrage de Maga,<br />

construit en 1979 pour faire de la culture du riz une activité<br />

intensive, encadrée, nationalisée, industrialisée, une culture de<br />

rente à inscrire sur les cartes et sur les fiches signalétiques des<br />

pays pauvres en voie d’accès au crédit des fonds et des<br />

banques qui abreuvent la planète. Pour cela, il fallait maîtriser<br />

précisément l’eau. Dompter la crue du Logone, et gérer au carré<br />

des périmètres de rizières, où l’effort du paysan serait relayé,<br />

décuplé par la force des engins et par les nouveaux génies,<br />

rural et civil. Un ouvrage fait à la va-vite, dans des conditions<br />

techniques et financières difficiles, sans concertation. Même au<br />

sommet régnait la confusion. Un manque d’analyse évident,<br />

pour un résultat tout à fait navrant : un déversoir qui ne fonctionne<br />

pas, une digue qui barre sans raison un bras du Logone,<br />

une retenue d’eau démesurée au vu de la faible exploitation de<br />

l’ouvrage, des surfaces de cultures et des rendements très audessous<br />

des prévisions négligemment annoncées aux gens<br />

concernés pour justifier à la volée expropriation et démantèlement<br />

social. Pour quelques tonnes de riz et quelques nouveaux<br />

riches, le barrage coûta à l’ensemble de la plaine inondable la<br />

perte quasi irrémédiable de son bien le plus précieux : l’eau. Le<br />

Logone ne pouvait plus déverser ses eaux là où elles étaient<br />

toujours allées : dans les canaux et dans les yaérés. Sans eau,<br />

plus de pâturage, plus de poisson, plus de culture. Une sécheresse<br />

d’un nouveau genre, dont personne ne peut expliquer la<br />

cause – si ce n’est par la négligence humaine – trente ans après<br />

la décision d’aménager les lieux.<br />

Cette initiative a marqué avec fracas le premier engagement de<br />

l’État dans la région. Car en fait, de cette contrée on ne se

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