Depuis qu’il s’est installé au bout du quartier, il recueille tous les secrets du village, les luttes, les peines et les joies. Il consacre son temps et sa richesse aux femmes de Lahaï. Il les connaît bien, les voit tour à tour ou en petits groupes, deux ou trois fois par jour. Chacune a ses horaires, ses manies, ses routines. Celles qui jouent des coudes pour poser leurs seaux les premières. Celles qui font durer ce moment de liberté en assurant le journal parlé. Les jeunes mariées, fraîchement arrivées au village, qui fondent de timidité, les petites effrontées, les espiègles qui inventent mille ruses pour déclencher une bataille d’eau. Il connaît les chansons d’amour, les prières, les pires jurons, les indicibles sorts. Au bruit du seau posé sur sa margelle il reconnaît l’humeur de ses usagères ; l’exaspération et la colère provoquent un écho à nul autre pareil. Il récolte des larmes, parfois, et lave des plaies inavouables. Il admire l’élégance des gestes, la danse des ombres graciles ; il s’amuse des moues d’enfants, des mouvements hésitants, des pas chancelants sous le poids de l’eau. Certains soirs, ses murs se font écrin d’un rendez-vous sous la lune, un début ou parfois une fin. On l’aime évidemment, à l’unanimité, même s’il subit quelques gestes brusques, quelques coups de pied, même, quand l’eau tarde à monter. Il se sent sacrément utile et a bien apprécié qu’on l’entoure ainsi d’un mur sculpté. Il voit aussi des hommes, mais plus rarement. Sauf exception, ils se contentent d’une visite de courtoisie quand des hôtes viennent au village. Et là, on ne tarit pas d’éloges, on vante son eau si pure, son mécanisme DIAM DOUM GUÉ DAM inusable, sa gestion idéale. Ah, ce forage… Ah, si tous les villages… On actionne la pompe d’un geste empressé, on repart convaincu, boubou mouillé, semelles détrempées. Il faut bien dire que, dans ce petit carré de terre, de béton et de fer, les hommes ne sont pas vraiment chez eux. C’est l’affaire des femmes, c’est comme ça et bien ainsi. Il est là avant tout pour elles, et les aide indifféremment. Ou presque. Avec Mariam, c’est un peu différent. Il reconnaît ses pas, elle arrive en chantant. « Diam doum gué dam. » Du bout du chemin, il l’entend répéter ces quatre notes, ces quatre mots qui signifient « l’eau c’est la vie ». La voix le frôle et, dans l’embrasure de ses murs, il voit alors briller l’emblème de sa petite reine : un tournevis bien adapté qu’elle ne quitte presque jamais. Mariam a été désignée comme mécanicienne, et c’est elle et personne d’autre qui, semaine après semaine, veille à l’entretien du nouveau point d’eau. Elle serre les vis si nécessaire, vérifie la corde, graisse la poulie une ou deux fois par mois. Elle a été formée avec d’autres jeunes femmes et reçoit de temps en temps la visite pleine de bons conseils des animateurs, Philomène ou Alain, ces gens bénis des cieux qui ont pour mission d’équiper les villages isolés de points d’eau et d’en assurer la bonne marche. Ici, le forage était demandé et attendu. Alors, quand il est venu, on a bien fêté son arrivée… Et on a bien fait, car vraiment ça a changé la vie. Moins de fatigue pour les femmes, moins de maladies chez les enfants, moins de restriction pour se laver, préparer les repas, et une eau bien plus douce à boire. On tient tellement à lui qu’on a monté à son attention un comité avec titres et fonctions, un système de cotisations et de sanctions dignes d’une véritable usine. Depuis quelques années, les puits à pompe et les forages – selon le niveau de la nappe d’eau – se multiplient dans la région, pour le bonheur de tous. Certains semblent tombés du ciel ; un jour, on apprend que des bienfaiteurs de l’État vont « faire cadeau » d’une pompe, et le lendemain la voilà qui débarque avec l’équipe et le matériel du puits prêt-à-creuser. Un point d’eau, c’est toujours bon à prendre, on ne va pas s’en plaindre. Mais on préfère la méthode douce, celle qui commence par les réunions où tout le monde ou presque a son mot à dire, celle qui prévoit le bon endroit, la bonne façon, la bonne gestion. Ici, on a été gâté. On a mis sur pied un comité de l’eau, on a cherché la manière la mieux adaptée de partager le point d’eau : chaque mois, une pièce dans la caisse donne à chaque ménage l’accès libre au forage. Une petite pause est prévue dans la journée, à l’heure du déjeuner. Mariam Adam donne un tour de clé au cadenas et repart, son tournevis calé dans un pli de pagne. Entretien, nettoyage, prévoyance. Mariam et ses consœurs ne négligent pas les détails. Au village, le point d’eau partage avec l’arbre à palabres le sens de l’accueil, de l’équité et du bien public. Lieu d’eau, lieu de vie, quand à la fin du jour, on entend, sur les rires lointains des enfants libérés, sous les piaillements et les battements d’ailes, l’eau, le métal et la voix chanter en cascade : « Diam doum gué dam, diam doum gué dam. » 117
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