You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
36<br />
S’ il n’était pas monté si jeune sur le trône,<br />
au sultanat de Logone Birni, Mahamat<br />
Bahar serait sans doute professeur<br />
d’histoire en chaire universitaire. Logone<br />
Birni : un lieu isolé, peu envié, soumis<br />
aux fantaisies du fleuve et des saisons,<br />
et cependant si fier de son histoire et de ses<br />
origines. Mais que serait l’histoire sans conteur<br />
ni mémoire ? De relais en relais, de contes<br />
en leçons, la mémoire des hommes draine<br />
le passé ; Logone Birni compte en la personne<br />
de son sultan un conteur passionné.<br />
Un chercheur, et un collectionneur qui recoupe<br />
les données, les articles.<br />
Interrogez-le sur le passé de son terroir et vous<br />
verrez alors la salle d’audience se transformer<br />
en centre de documentation. Les armoires<br />
s’ouvrent sur des rangées de livres, d’albums,<br />
de registres, les étagères croulent sous<br />
les archives, coupures de presse, documents<br />
rares. Enfant, le sultan avait l’habitude de voir<br />
séjourner au palais ce couple d’étrangers,<br />
ces chercheurs qui avaient trouvé en ces lieux<br />
de quoi étancher leur soif de connaissance<br />
pendant deux décennies. Il avait grandi avec<br />
leur présence, leurs questions, leurs trouvailles.<br />
Peu à peu, les deux chercheurs avaient<br />
approché puis décodé les rituels d’intronisation,<br />
de funérailles, la hiérarchie des notables,<br />
l’usage des symboles. Ils avaient retracé<br />
l’histoire, démêlé les légendes et les mythes.<br />
Quand Mahamat a fait ses premiers pas dans<br />
l’exercice de la chefferie, ils étaient là à<br />
observer, à essayer de comprendre les arcanes<br />
du pouvoir. Tels des griots d’un autre monde<br />
JEUX D’ HISTOIRE <strong>ET</strong> DE HASARD<br />
avec d’autres manières ils ont rendu publiques<br />
toutes ces connaissances. Aujourd’hui, ils ne<br />
viennent plus guère mais le sultan ne manque<br />
pas une occasion de faire hommage à leurs<br />
travaux quand il conte à ses visiteurs – trop peu<br />
nombreux à son goût – l’histoire du sultanat<br />
de Logone Birni.<br />
Il a ses préférences : ses personnages favoris,<br />
ses périodes et ses épisodes fétiches. La source<br />
même du nom Logone, fleuve et ville, fait l’objet<br />
d’une conférence à part entière. Où l’on apprend<br />
qu’à l’origine était un homme, un de ces grands<br />
et valeureux Sao qui peuplaient la partie nord<br />
du bassin du lac Tchad et qui ont aujourd’hui<br />
disparu. Cet homme, donc, était le chef du seul<br />
village du nord de la plaine. Il traversait souvent<br />
le fleuve pour rejoindre le royaume du Tchad,<br />
s’y adonner au jeu ou bien y faire la guerre.<br />
Un jour, à l’endroit où il s’apprêtait à passer<br />
le fleuve, sa chéchia s’accrocha à une épine<br />
d’acacia et tomba. Ce détail insignifiant l’étonna<br />
et lui fit décréter après un long silence que « tôt<br />
ou tard, cette place commanderait ». Quelque<br />
temps après, deux Sao arrivèrent au même<br />
moment, mais sans le savoir, de part et d’autre<br />
de l’acacia. Le pêcheur s’installa au nord, et<br />
le chasseur pris position un peu plus au sud,<br />
accompagné de son chien. Ils vécurent ainsi<br />
longtemps, chacun ignorant l’existence de<br />
l’autre, séparés par quelques mètres de brousse<br />
assez dense. Un jour enfin, le chien vint voler<br />
du poisson au pêcheur. Celui-ci suivit l’animal<br />
et fit ainsi la découverte d’une autre vie humaine.<br />
Pour pouvoir se voir, les deux hommes<br />
nettoyèrent l’espace touffu qui séparait leurs<br />
deux maisons. D’autres Sao rejoignirent l’un ou<br />
l’autre des deux pionniers, créant ainsi les deux<br />
quartiers bien réels aujourd’hui : Bo Zandéka et<br />
Bo Zandéra. Rapidement, les deux communautés<br />
décidèrent de remplacer les arbres qui<br />
les séparaient par des cases et des places afin<br />
d’établir un seul et unique village. La pluie<br />
se mit alors à tomber et le sol fut bientôt<br />
recouvert d’une sorte de gombo en feuille,<br />
un légume vert connu sous le nom de lougoum.<br />
La plante donna tout naturellement son nom<br />
au village. Le village à son tour donna son nom<br />
au fleuve le long duquel il s’était étendu.<br />
Et c’est ainsi que le fleuve s’appela – après<br />
légère altération et passage à l’écrit – Logone.<br />
S’affirmant ville, Logone agrandit son nom<br />
pour devenir Logone Birni.<br />
Le sultan aime aussi à raconter l’histoire de la<br />
frontière et du fleuve. Quand les Blancs sont<br />
venus appliquer sur le terrain le tracé<br />
des frontières africaines prévu sur papier lors<br />
des accords de Berlin, la ville et le fleuve ont<br />
fait un coup de maître. Les habitants de la région<br />
avaient entendu dire que le canton de Zina<br />
se retrouverait à cheval sur la frontière qui<br />
devait séparer le Tchad du Cameroun, de part<br />
et d’autre du cours principal du fleuve. Alors,<br />
quand les géographes ont débarqué, on leur a<br />
fait croire que le cours principal était le Logone<br />
et non pas le Loromé Mazera, qui coule en<br />
parallèle un peu plus à l’ouest. C’était la saison<br />
des pluies, et on pouvait confondre. Les colons<br />
avaient néanmoins des doutes et renvoyèrent<br />
leurs émissaires en pleine saison sèche. Là,<br />
on allait bien voir si ce Logone avait l’allure