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«<br />
J<br />
e m’appelle Kaskala. Mamati Adam Kaskala.<br />
Je suis de Zina. J’ai grandi ici, auprès de<br />
mon grand-père. C’est lui qui m’a appris<br />
à pêcher. Quand je me suis marié, il m’a<br />
donné une pirogue et quelques filets. Petit<br />
à petit je me suis constitué un bon matériel<br />
de pêche. Des nasses, des filets de toutes tailles,<br />
de différentes mailles. Quand j’étais enfant,<br />
c’était nos parents qui faisaient les filets.<br />
Aujourd’hui, ils viennent tous du Nigeria. Zina<br />
est un grand village de pêche. Nous, les Kotoko,<br />
on pêche depuis toujours. De temps en temps,<br />
on trouve une nouveauté. La nasse malienne,<br />
par exemple. On peut dire sans mentir que j’ai<br />
été le premier à introduire cet engin à Zina.<br />
C’était juste après la construction du barrage…<br />
Des années difficiles. À Yvié, au bord du Logone,<br />
j’avais vu ces nasses à double entrée, qu’il suffit<br />
de poser et de venir vider, et vraiment, j’ai eu<br />
envie d’essayer. Des Sénégalais et des Maliens<br />
étaient venus pêcher par là et avaient gagné<br />
beaucoup de poissons grâce à ces nasses. Alors<br />
j’ai rapporté l’idée au village. Je m’en suis<br />
fabriqué, et doucement, timidement, les gens<br />
m’ont imité. Ce sont mes enfants qui placent<br />
les nasses pour moi. Je n’ai jamais su<br />
les installer comme il faut. J’ai souvent essayé,<br />
mais quand c’est moi, le poisson ne veut plus<br />
entrer dans la nasse. En vérité, je ne pêche pas<br />
beaucoup. Je prépare les hameçons, les filets, et<br />
je me réserve pour la grande pêche en octobre.<br />
Je m’occupe aussi de mon canal. C’est important<br />
de bien entretenir les canaux. Chacun sait que,<br />
s’il creuse bien son canal à la saison sèche,<br />
il aura une bonne pêche à la décrue. Je viens<br />
KASKALA, DE ZINA<br />
de finir de creuser le mien. Il est bien profond.<br />
Je tiens debout tout entier dedans, et même<br />
en levant la main.Vraiment, les manœuvres ont<br />
travaillé. C’est une opération longue et<br />
coûteuse. Chaque année, la moitié de l’argent<br />
du poisson passe dans le canal. Les Sara ne<br />
creusent plus à moins de 5 000 FCFA les cent pas.<br />
» Si je pêche si peu, c’est aussi parce que j’ai<br />
un autre métier. Depuis des années, je m’occupe<br />
des étrangers chercheurs qui passent à Zina.<br />
Un jour, un Blanc de Hollande est venu me<br />
trouver sur place. Il m’a proposé d’accueillir<br />
les jeunes étudiants camerounais et hollandais<br />
en stage à l’École de faune de Garoua. Je les<br />
accompagnais dans le yaéré, je traduisais pour<br />
eux, je m’occupais de leur case de passage.<br />
Certains restaient jusqu’à six mois à Zina. Cela<br />
m’a donné beaucoup d’amis. Ensuite, j’ai<br />
continué à faire ce travail pour le Centre d’étude<br />
sur l’environnement et le développement au<br />
Cameroun. Puis pour le Projet Waza Logone.<br />
Pour le moment, c’est suspendu. J’ai été salarié<br />
pendant toutes ces années. Ça m’a bien<br />
arrangé. Grâce à ça, j’ai pu avoir deux femmes,<br />
neuf enfants et un canal à moi. Mais ce que j’ai<br />
gagné, c’est surtout la reconnaissance. À Zina,<br />
quand on voit arriver un Blanc ou un jeune<br />
étranger, on dit :“Ah ça, c’est pour Kaskala”, et<br />
on lui montre mon chemin. Moi, simple Kaskala,<br />
j’ai quelque chose que beaucoup de gens<br />
cherchent à avoir. Je suis connu, et même loin<br />
dans le monde. »<br />
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