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HISTOIRES D'EAUX ET D'HOMMES

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puits ne résistent pas plus d’un an. On ne<br />

cherche même plus à désensabler, on préfère<br />

creuser à côté.<br />

Dans le village, il ne faut pas espérer trouver<br />

de l’eau à moins de 10 mètres de profondeur.<br />

Les habitants des quartiers nord et nord-est<br />

sont les moins bien lotis : il faut creuser au<br />

moins à 15 mètres pour atteindre la nappe.<br />

Les Tchadiens ont la réputation d’être bons<br />

puisatiers, alors on fait plutôt appel à eux, mais<br />

ce n’est pas exclusif. Avant, on leur concédait<br />

quasiment le monopole du puisage à but lucratif :<br />

équipés de pouss-pouss, ils vendaient à qui<br />

voulait l’eau fraîchement puisée, transvasée<br />

dans les huit bidons que peut contenir la petite<br />

remorque à roues de bicyclette. Aujourd’hui,<br />

on compte beaucoup de villageois parmi les<br />

pousseurs : la vente d’eau s’est généralisée,<br />

c’est une activité honnête et peu risquée.<br />

Un chargement complet, soit 200 litres d’eau,<br />

dose quotidienne d’une famille nombreuse,<br />

coûte environ 300 F. L’idée de creuser des puits<br />

pour les autres n’emballe pas les trois amis.<br />

Ils l’ont déjà fait, bien sûr, et savent à quel point<br />

ce travail est éreintant. Mais l’opération puiserpousser<br />

leur paraît bel et bien à leur portée.<br />

L’un d’eux a un pouss-pouss, mais il manque<br />

une roue et celle qui reste est sérieusement<br />

voilée. Là encore, Moussa intervient, plus<br />

constructif cette fois. Pourquoi ne pas utiliser<br />

les roues du vélo de l’un pour le pouss-pouss<br />

de l’autre ? Cela demande quand même un peu<br />

de réflexion, et le troisième larron ne voit pas<br />

bien ce qu’il pourrait gagner s’il ne met rien<br />

à contribution.<br />

Ils abordent maintenant le secteur tertiaire selon<br />

l’expression du plus lettré d’entre eux.<br />

Le commerce est une source inépuisable pour<br />

qui sait bouger, investir un minimum, saisir<br />

le sens du vent. L’un tient à préciser que ce n’est<br />

pas pour les « trop pauvres » ; une bonne paire<br />

de bras et des jambes solides, c’est bien mais<br />

c’est insuffisant. Il faut posséder un vélo – ou<br />

mieux, une moto – pour parcourir le trajet qui<br />

assure aux produits de boutique la plus-value<br />

escomptée. En prenant le goudron d’un côté<br />

comme de l’autre du village, une cinquantaine<br />

de kilomètres séparent fournisseurs et<br />

détaillants. Un aller-retour que certains arrivent<br />

à couvrir en quatre heures, dit-on. D’ailleurs,<br />

on dit aussi que, pour tenir le rythme, on prend<br />

des comprimés, du D10 ou autre Koya.<br />

On peut y laisser sa santé. Dans le registre<br />

des effets induits, un autre renchérit : ça gâterait<br />

même l’environnement car, pour éviter<br />

les douanes et les contrôles, les commerçantstransporteurs<br />

ouvrent des sentiers clandestins<br />

à travers la brousse en arrachant les jeunes<br />

pousses et en coupant des arbres. Moussa<br />

n’avait pas pensé à ça ; il faut dire que l’idée<br />

vient du lettré, lequel a une fâcheuse tendance<br />

à extrapoler les problèmes.<br />

On a aussi entendu parler d’un certain<br />

commerce dont le gain est à la mesure du risque<br />

encouru : le convoyage d’essence du Nigeria à<br />

Maroua. On voit de plus en plus de ces bombes<br />

vivantes traverser le village. Le motard disparaît<br />

presque sous sa dizaine de bidons amarrés<br />

périlleusement à l’homme et à l’engin.<br />

Au moindre dérapage, au moindre choc, tout<br />

flambe. Une vie s’envole. Mais quand il arrive<br />

à bon port, il se voit gratifié de quelques beaux<br />

billets. Alors il oublie la peur et regonfle<br />

les pneus. Les trois amis ont beau être fauchés,<br />

ils écartent publiquement cette éventualité<br />

qualifiée par qui de droit de perversion<br />

des temps modernes.<br />

On revient à des choses plus saines.<br />

Et la gomme ? Pourquoi ne pas aller en brousse<br />

collecter de la gomme arabique ? Moussa<br />

s’esclaffe ; chez lui, c’est un travail pour les<br />

femmes, et vraiment il trouverait dégradant<br />

de leur faire concurrence. Cela n’engage<br />

que lui, les autres sont pensifs. On pourrait<br />

commencer par suivre les femmes, on dit<br />

qu’elles gardent secrets les endroits où<br />

la gomme abonde encore. Ça doit être tout<br />

près du parc, mais vraiment tout près, non<br />

pas dedans, c’est interdit. D’ailleurs, ce n’est<br />

pas toujours aisé de repérer les limites…<br />

Suivre les femmes, et puis les imiter.<br />

L’idée paraît à tous vraiment originale.<br />

C’est maintenant l’heure du repas. Les amis<br />

se séparent, prêts à prendre des forces<br />

pour un nouveau départ.<br />

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