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En cette mi-octobre, le marché<br />
de Guirvidic est si vaste, si dense,<br />
que l’étranger de passage peut bien<br />
se demander dans quelle mégapole<br />
il a débarqué. À cette époque de l’année,<br />
la ville est à peine plus grande que<br />
son marché. Car ici et maintenant se joignent<br />
pour quelques jours nomades, transhumants<br />
et sédentaires. Un carrefour où s’échangent<br />
poisson, bétail et céréales, et tout ce que la vie<br />
consomme au quotidien. On y croise des gens<br />
de toute origine et de toute condition. Les<br />
grossistes occupent le terrain. De gros hommes<br />
dotés d’une grosse voix, qui déchargent<br />
de leur gros camions de grosses quantités<br />
de victuailles. Ils s’accoudent nonchalamment<br />
sur leur fortune périssable, et négocient avec<br />
condescendance et bonhomie. Ce sont les rois<br />
du marché, et d’eux dépend l’économie<br />
familiale de milliers de petits ménages.<br />
Ils traitent avec les boutiquiers, les détaillants<br />
installés un peu plus loin au ras du sol, les chefs<br />
de famille assez cossus pour être prévoyants.<br />
Dans le quartier du mil, on en voit de toutes<br />
les couleurs. Du plus cher au plus ordinaire, vous<br />
trouverez le mil jaune – record des ventes –, le mil<br />
blanc, le maïs – qu’on met pour l’occasion dans<br />
la famille du mil – et, enfin, le mil rouge. Côté<br />
saveur, on s’accorde à dire que le blanc est<br />
le meilleur, mais vous savez, les goûts et les<br />
couleurs… Le jaune, c’est le plus cher et c’est<br />
toujours comme ça. Aujourd’hui, il est coté à<br />
24 000 F, contre 17 000 pour le mil rouge,<br />
qui vient juste de faire son entrée. D’ici à deux<br />
semaines, il aura déjà baissé. Pour une famille<br />
EN PASSANT PAR GUIRVIDIC<br />
de cinq ou six personnes, comptez un sac par<br />
mois. Les éleveurs nomades ou transhumants<br />
de passage à Guirvidic doivent faire leurs<br />
provisions avant de s’immerger dans les yaérés.<br />
Le prochain marché est à plusieurs semaines.<br />
Ils hésitent et choisissent minutieusement. Une<br />
main plongée dans le sac tâte langoureusement<br />
le grain, tandis que le cerveau calcule à toute<br />
vitesse le prix à payer pour nourrir la famille<br />
pendant la traversée. Le choix s’opère, avec<br />
pour grand dilemme : mil ou riz ? Le riz, c’est<br />
plus cher. Même celui de la Semry, le seul qu’on<br />
trouve sur le marché, version décortiquée.<br />
En octobre, le prix du riz est encore élevé.<br />
Les grossistes en riz ont plus petite carrure.<br />
Ce sont surtout des femmes ; elles vendent aussi<br />
le riz paddy de leur propre champ. Elles ne<br />
rechignent pas à servir le grain à la mesure.<br />
Pas à la poignée, comme les petites vendeuses,<br />
mais aux grandes mesures comme la kora,<br />
soit environ deux kilos, ou encore la kadhafi,<br />
qui double la dose.<br />
À Guirvidic, il y a peu de poisson frais. Ici, on<br />
achète du poisson longue durée, fumé ou séché,<br />
ou bien déjà frit, pour le plat du jour. Au<br />
quartier du poisson, silures, sardines, carpes et<br />
protoptères s’entassent et se vendent dans de<br />
grands cartons suintants. La mesure du moment<br />
est un modèle élaboré à partir de trois cartons<br />
de boîtes à sucre. L’assemblage et surtout<br />
le remplissage permettent quelques légères<br />
variations, mais on a l’air d’y trouver son<br />
compte. Les protoptères fumés sont longs, larges<br />
et plats. On les vend donc en fagots de cent<br />
pièces bien ficelées. La charge tient à peine<br />
sur le porte-bagages du revendeur, et vaut<br />
d’ailleurs presque aussi cher que le vélo.<br />
Le marché au bétail – grands et petits<br />
ruminants – se tient plus tôt et à l’écart.<br />
Les transactions répondent à des critères<br />
complexes et variables, et là, à Guirvidic,<br />
on est vraiment entre spécialistes.<br />
Les pharmacies vétérinaires, en étal ou par<br />
terre, proposent un bel éventail d’antiparasites<br />
et autres vermifuges ; les vaccins sont de plus<br />
en plus demandés par les éleveurs, mais ce<br />
n’est pas du ressort des marchands vétérinaires,<br />
il faut aller en ville à la grande pharmacie.<br />
Le marché de Guirvidic est une affaire sérieuse<br />
où courent de main en main des kilomètres<br />
de billets graisseux. Mais on y trouve aussi<br />
des bonbons à l’unité, des fruits et des épices,<br />
des perles, des pagnes, et toutes ces couleurs,<br />
ces sons et ces odeurs qui donnent au quotidien<br />
une allure de fête.<br />
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