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PINON L’HOMME-AUX-CANONS PINON L’HOMME-AUX-CANONS<br />
rôle important dans l’introduction de la<br />
vaccination contre la variole.<br />
Toutefois, il n’est pas question d’oublier<br />
les canons. Le 10 et le 13 juillet, il est<br />
reçu par le prince de Schwarzenberg.<br />
C’est un homme extrêmement courtois,<br />
d’un naturel agréable qui, toutefois, lui<br />
déclare qu’il n’a pas le pouvoir de laisser<br />
partir les canons de Vienne et qu’il faut<br />
qu’il s’adresse à l’empereur ou au prince<br />
de Metternich, le tout puissant chancelier<br />
et ministre des affaires étrangères. Pinon<br />
essaye de tourner la difficulté en<br />
approchant plusieurs personnalités<br />
Le maréchal Radetzky<br />
proches de la cour. Avec la plus grande<br />
affabilité, elles lui déclarent qu’elle ne<br />
sont pas compétentes. En fait, Pinon<br />
acquière très vite la conviction que<br />
personne ne tient à ce que l’affaire<br />
aboutisse. Le prince de Schwarzenberg a<br />
remis le dossier à son chef d’état-major,<br />
le fameux Radetzky, un des meilleurs<br />
généraux de l’armée impériale et royale,<br />
qui l’écoute attentivement, lui donne le<br />
nom de gens qui pourraient intervenir et<br />
finit par lui montrer ses collections: une manière comme une autre de l’amuser.<br />
Pinon frappe au sommet<br />
Pinon piétine, mais ne désespère pas. Enfin, le 17 juillet la chance lui sourit. Dans la<br />
rue, il tombe sur un major du génie autrichien dont il avait fait la connaissance à<br />
Genève et auxquels il avait rendu quelques services. Celui-ci lui conseille d’écrire<br />
au baron de Stutschra qu’il connaît, grand chambellan, afin d’obtenir une audience<br />
de l’empereur. Peu après, il rencontre le secrétaire particulier du prince de<br />
Metternich qui lui annonce que son maître sera bientôt à Vienne et qu’il est prêt à<br />
intercéder en sa faveur.<br />
Et cette fois ce ne sont pas paroles en l’air. Le samedi 23 juillet, Pinon trouve à son<br />
auberge une grande enveloppe libellée «A Monsieur le colonel Pinon, directeur<br />
général du génie de la république de Genève.» Frédéric Schlegel disait que tout<br />
voyageur qui arrive à Vienne doit d’empresser de faire précéder son nom d’un<br />
«von». Pinon n’a pas encore eu droit au «von», mais il est promu au grade de<br />
colonel. Mais pouvait-il être moins, lui qui prétendait rencontrer l’empereur? Dans<br />
le pli, il trouve une invitation: «L’office du Grand Chambellan à l’honneur de<br />
prévenir M. le colonel Pinon que Sa Majesté l’empereur l’admettra à son audience<br />
dimanche prochain à Schoenbrunn, à dix heures du matin.» (22)<br />
58 Le Brécaillon<br />
Le jour dit et à l’heure dite, 24 juillet, Pinon, dans une voiture de louage, se présente<br />
devant les grilles de Schoenbrunn. Il est introduit dans une antichambre ou se<br />
pressent militaires en uniformes chamarrés, haut fonctionnaires aux poitrines<br />
constellées de décorations, prélats en robes cramoisies, de magnats hongrois en<br />
éblouissants costumes. Pinon, qui a revêtu son modeste uniforme genevois, sans<br />
décorations, ne se laisse pas décontenancer par tant d’apparat. Il vient prendre sa<br />
place parmi les solliciteurs qui attendent, au premier rang. Il va attendre longtemps.<br />
Après plus de deux heures, un chambellan ouvre la porte et appelle «Der Oberst von<br />
Pinon.» Ce coup ci, il a droit au «von». Au fond de la pièce l’empereur, dont le moins<br />
qu’on puisse dire est qu’il ne paye pas de mine, l’attend debout puis va à sa<br />
rencontre. Le dialogue suivant s’engage:<br />
«Que venez-vous demander, Monsieur?<br />
«Sire, je suis envoyé par la république de Genève pour solliciter Votre Majesté de lui<br />
rendre son artillerie.<br />
«Mais ces canons sont à moi, Monsieur. La loi de la guerre en a fait ma propriété.<br />
Sur quels titres appuyez-vous donc votre demande?<br />
«Sur aucun, sire, Genève ne prétend point établir un droit sur ce canon. Mais les<br />
troupes de Votre Majesté nous ont rendu notre indépendance. Comment<br />
conserverons-nous un bien si précieux, si nous sommes privés de notre artillerie?<br />
Considérez, sire, dans quelles circonstances Genève s’est trouvée placée.» Comme<br />
l’empereur semblant être intéressé parce ce qu’il dit, Pinon poursuit, avec toute sa<br />
force de conviction, qui est grande. Il décrit l’accueil généreux que les <strong>Genevois</strong> ont<br />
réservé aux soldats autrichiens, le dévouement avec lequel ils les ont soignés lors de<br />
l’épidémie de typhus, durant laquelle plusieurs médecins genevois ont perdu la vie.<br />
«Je sais tout cela, répond l’empereur. Les <strong>Genevois</strong> n’auront pas à se plaindre de<br />
moi. Vos canons vous seront rendus, Monsieur, et les pièces qui manqueraient, je les<br />
ferai remplacer. Vous porterez tous vos papiers à la chancellerie du prince de<br />
Metternich, qui recevra les ordres nécessaires.» (23)<br />
En quittant le parc de Schoenbrunn, Pinon éprouve certes une grande satisfaction<br />
mais il n’en perd pas pour autant le sens des réalités. Il ne sait que trop qu’il n’a pas<br />
encore atteint le but. Le surlendemain Pinon prend la plume pour conter à son épouse<br />
son entrevue avec l’empereur. Dès réception ses lettres sont recopiées afin d’être<br />
diffusées dans un large public car les <strong>Genevois</strong>, les autorités en tête, suivent avec<br />
passion les péripéties du voyage de celui qui est devenu leur «champion». Dans celle<br />
du 26 juillet, il décrit son entrevue: «Je partis Dimanche pour Schonbrun [sic], et je<br />
fus introduit dans la salle d’antichambre au milieu des Princes, généraux,<br />
archevêques, évêques etc en grands costumes, ce qui faisait bien ressortir notre<br />
simple uniforme suisse. Après deux heures de patience, mon tour de passer dans la<br />
chambre de S.M. arriva.<br />
Dès que je me suis nommé, S.M. a eu la bonté de s’approcher en me disant qu’il<br />
connaissait cette affaire, que d’après les lois de la guerre les canons étaient braqués<br />
contre ses troupes, il avait le droit de les garder, mais que connaissant la bonne<br />
conduite des <strong>Genevois</strong>, il consentait à les leur rendre.» Puis Pinon, lui ayant présenté<br />
le dossier, l’empereur ajoute: «Je sais que les <strong>Genevois</strong> ont fait ce qu’ils ont pu, je<br />
Le Brécaillon<br />
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