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QUESTION... SOUVENIRS... NOSTALGIE?<br />

Dominique Zanetta<br />

Thomas, 5 ans, regarde avec son arrière-grand-père, Baptiste, (85 ans) une aquarelle<br />

d’Elzingre représentant une pièce d’artillerie, tirée par six chevaux.<br />

«- Dis, Grand Papi, c’est des soldats de Napoléon, qui sont à cheval?»<br />

Baptiste, un peu interloqué de la question de Thomas, car cette gravure lui rappelle<br />

des souvenirs certes anciens, mais, tout de même, pas si vieux… tente une réponse<br />

qui permettra à son arrière-petit-fils de faire la différence entre le XIXe et le XXe<br />

siècle!<br />

«- Ces soldats à cheval, en uniforme gris-vert, pourraient bien être ton grand-papi et<br />

ses vieux copains d’école de recrues».<br />

Loin de vouloir se lancer dans un exposé ex cathedra à l’endroit du (très) jeune<br />

114 Le Brécaillon<br />

garçon, Batiste se souvient de ces images de jeunesse. Ce passé tellement vécu, ces<br />

années particulièrement difficiles affluent tout d’un coup sur l’écran de son<br />

souvenir…<br />

C’était en 1940, j’avais été recruté comme conducteur dans l’artillerie, dans une<br />

batterie de canons de campagne. Il faut relever le fait que c’est comme conducteur<br />

que j’ai fait mon ER (et non pas comme canonnier), car pour devenir officier<br />

d’artillerie, il fallait d’abord être conducteur, c’est-à-dire connaître les chevaux. Je<br />

n’avais pas eu de problème pour être recruté dans cette arme, bien qu’habitant la<br />

ville. Mon père était officier d’artillerie, mon oncle également. Je voulais, moi aussi,<br />

devenir officier d’artillerie.<br />

Je n’ai pas besoin de faire de grands efforts pour me rappeler mon arrivée à Bière,<br />

les premiers jours de l’école de recrues, le caporal sentencieux qui, règlement rouge<br />

ouvert, nous expliquait qu’ «une paire de chevaux est constituée par deux chevaux<br />

placés l’un à côté de l’autre» (et nous dormions debout dans l’après-midi chaude).<br />

Les longs pansages peuplés d’exhortations au labeur, (celui qui discourait était<br />

appuyé contre l’abreuvoir, les pouces passés aux courroies de la sacoche et du<br />

revolver). La garde d’écurie, seul moment où je pouvais me sentir libre de penser.<br />

Surtout, la lente affection qui me liait peu à peu à ma «paire», ces deux chevaux<br />

bourrus et laids. L’odeur de la forge. Le Mont-Blanc entrevu par-delà la plaine, au<br />

moment de l’appel du dimanche matin.<br />

Le conducteur était responsable de 2 chevaux (une pièce était tirée par 6 chevaux):<br />

un conducteur devant, un au milieu et le troisième au timon: cette place était la plus<br />

difficile, car le timon gênait. Il faut savoir que, dans la batterie, il y a d’abord les<br />

conducteurs. Souvent, à la campagne, l’aîné des fils est dragon; il achète son cheval<br />

qui va rejoindre à l’écurie la vieille jument alezane. Les cadets sont conducteurs<br />

d’artillerie parce que la ferme n’est pas assez importante pour qu’on y entretienne<br />

trois chevaux. Plusieurs générations déjà ont opposé les cols rouges au col jaune.<br />

Chaque année, au début de février, quelques gars de la région partaient à Bière. Ils<br />

décrivaient, lorsqu’ils rentraient chez eux le dimanche, le quadrilatère des écuries, la<br />

plaine où le vent coupe comme une lame sèche, l’adjudant, toujours le même, qui<br />

leur assurait avoir connu le père, mais le fils, disait-il, est encore bien plus laid. Rien<br />

n’avait changé pour ceux qui les écoutaient, pas même le petit détail, celui qui donne<br />

au souvenir son authenticité. Puis, l’école de recrues terminée, ils ont rejoint la<br />

batterie.<br />

Là, leur vie de soldats ne différait guère de leur vie de campagnards. Ils avaient des<br />

chevaux qui ne leur appartenaient pas mais qui étaient tout de même un peu à eux à<br />

cause de la parenté de la terre; ils travaillaient lentement, comme à l’accoutumée,<br />

sans mesurer leur temps. Les moments les plus difficiles, c’est quand ils regardaient<br />

les champs, à l’époque des foins, des blés ou des pommes de terre, en se disant qu’on<br />

avait besoin d’eux à la ferme. Ils se groupaient au café par attelages, sérieux,<br />

susceptibles, cocardiers comme un cheval qui entend une fanfare.<br />

Dans cette école de recrues d’été 1940, il y avait beaucoup de paysans. Elle a duré<br />

Le Brécaillon<br />

QUESTION... SOUVENIRS... NOSTALGIE?<br />

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