<strong>La</strong> <strong>définition</strong> d’une <strong>stratégie</strong> d’intervention. <strong>La</strong> definición de una estrategia de intervención Defining a strategy for intervention <strong>La</strong> commune de Brette reverdie par un printemps pluvieux : pentes cultivées, accueil à la ferme, bergerie, hameau. © Ph. Haeringer 146
<strong>La</strong> <strong>définition</strong> d’une <strong>stratégie</strong> d’intervention. <strong>La</strong> definición de una estrategia de intervención Defining a strategy for intervention “Patrimoine et réalisme, Les centres historiques des grandes villes méditerranéennes, Commentaires préalables sur le projet <strong>RehabiMed</strong> » Philippe Haeringer 1 Géographe, directeur de recherche IRD, responsable de l’équipe doctorale « Orients Urbains » à l’Université Paris X-Nanterre. Auteur de divers travaux récents sur la « refondation » des villes d’Asie, de Russie et du Moyen-Orient. Adresse postale: Saint-Roman, 26410 Châtillon-en-Diois Adresse courrier électronique: phildanh@club-internet.fr Téléphone: 33 (0)4 75 21 80 66 Marseille 2 Le patrimoine par le bâti ordinaire : oui Mais : attention aux mirages Il faut savoir gré au projet <strong>RehabiMed</strong> de s’intéresser non pas au patrimoine monumental d’exception, mais au tissu urbain hérité et encore présent au cœur des vieilles villes méditerranéennes. C’est évidemment ce type de patrimoine qui est le plus fragile, le plus en danger, et en même temps le plus délectable car il nous transmets la plénitude de l’héritage. Comme il est dit dans les attendus du projet, il s’agit d’un patrimoine vivant. Cependant, il y a une part de mirage, dont il est important de prendre conscience. Malgré le sentiment d’authenticité qui émane des scènes captées dans les quartiers historiques, celles-ci ne sont que très partiellement fidèles à ce dont les vieilles pierres ont été témoins dans les siècles où elles ont été mises en œuvre. Dans la plupart des cas, la vie qui se poursuit dans les dédales d’autrefois n’est pas moins contemporaine que celle qui peut s’observer dans les banlieues mégapolitaines. Cette banalisation vaut aussi bien d’un point de vue sociologique que sur le plan matériel. En effet, le temps passe pour tout le monde. En outre, les populations résidant aujourd’hui dans les quartiers antiques ne sont que rarement les héritières de celles qui les habitaient jadis. Il y a presque toujours eu substitution, non pas seulement par une lente mutation naturelle, mais par l’effet d’une rupture essentiellement consommée dans la deuxième moitié du vingtième siècle. Le surgissement du processus de “mégapolisation” a radicalisé les effets de la modernisation en cours depuis le milieu du XIX e siècle. Le gradient social, qui valorisait le centre, s’est inversé ; de sorte que les vieux quartiers, quel que fut leur marquage social autrefois, sont aujourd’hui massivement occupés, comme certaines banlieues, par des populations marginalisées, souvent immigrées de plus ou moins fraîche date. Il n’est donc pas très exact de dire que le bâti des centres urbains historiques est “un legs apprécié par le plus grand nombre mais oublié de l’histoire” (cf. Présentation du Symposium). <strong>La</strong> formule inverse est plus conforme à la réalité : les vieilles villes méditerranéennes sont reconnues par les historiens et par les touristes qu’ils entraînent derrière eux, mais elles sont malheureusement boudées par les citadins en tant que lieu de vie et de résidence. Les vieilles familles les ont abandonnées sans esprit de retour, et leurs bâtisses ne sont que “récupérées” (sous des statuts divers allant jusqu’au squat collectif ) par des populations pauvres en mal de logement, et dont le choix n’est pas motivé par la dimension historique des lieux. C’est en tout cas le modèle dominant vers lequel les choses évoluent depuis un bon demi-siècle, dans un certain nombre de villes méditerranéennes. Le mirage d’une vie traditionnelle authentique est entretenu d’une part par ce qui reste du décor ancien et notamment par le tracé médiéval du parcellaire, mais aussi par divers phénomènes en trompe-l’œil. On en retiendra trois. Le premier est la vétusté, le délabrement, parfois l’aspect ruiniforme du bâti, qui ne constituent évidemment pas un gage d’historicité mais en donnent l’illusion.. Le deuxième va dans le même sens : c’est la pauvreté des habitants actuels. Leur dénuement et/ou leurs origines rurales les contraignent à une vie matérielle et à une gestuelle qui paraissent rappeler l’ancien temps, mais qui n’ont que peu de rapports avec la vie citadine et les codes des siècles passés. S’il y a des survivances de comportements anciens dans les villes d’aujourd’hui, il est sans doute préférable et plus significatif d’aller les observer dans les quartiers populaires récents, débarrassés d’un pittoresque ambigu. Le troisième phénomène en trompe-l’œil est celui de l’activité artisanale, en général très présente dans les vieux centres urbains. Elle se revendique volontiers de la tradition et il faut lui savoir gré de perpétuer en effet certaines filières de production, certains procédés et objets. Mais la finalité touristique, quoique légitime, est souvent trop évidente pour confirmer la fiction d’une vie de quartier à l’ancienne, surtout lorsque l’on voit, le soir, les artisans et les commerçants tirer le rideau et prendre les bus de banlieue. <strong>La</strong> spéculation touristique n’est pas le seul moteur de l’activité artisanale élisant domicile dans les vieux tissus urbains : ceux-ci offrent des espaces propices à l’installation d’ateliers divers, à la mesure du retrait de la fonction résidentielle, et à la faveur d’un certain chaos foncier et immobilier. Cette activité parfois peu transparente contribue ellemême à ce chaos, et n’est donc pas toujours un atout, loin s’en faut, pour un programme de réhabilitation de l’architecture traditionnelle. Une démarche globale : oui Mais : ne pas perdre le cap <strong>La</strong> sectorisation proposée (cf. les quatre opérations pilotes) contredit l’intention annoncée d’une approche globale (cf. programme du symposium) ou intégrale (cf. texte sur la méthodologie). En outre, le champ couvert par les quatre thèmes est loin d’être holistique. Pire, il s’appuie sur trois des pièges les plus redoutables (le tourisme, l’artisanat, l’action sociale), implicitement présentés comme les piliers du projet, mais qui ont toute chance de le dénaturer. <strong>La</strong> fonction première d’une architecture domestique (cf. fiche de <strong>définition</strong>s) étant l’habitat, ne devrait-on pas plutôt fonder le projet sur la valeur résidentielle des 147