( Dossier58gies. Avant de faire le point de nos connaissancesau sujet de l’atteinte des voies efférentesdans <strong>la</strong> Neuropathie Auditive /Désynchronisation Auditive (NA/DA), nousallons procéder à quelques rappels d’anatomieet de physiologie des voies <strong>auditive</strong>sefférentes et nous en expliquerons lesméthodes d’exploration. Nous termineronspar <strong>la</strong> description de deux cas cliniques vusdans notre service d’explorations : celuid’un homme de 43 ans et d’une femme de36 ans présentant des déficits en faveurd’une NA/DA et pour lesquels une explorationdu fonctionnement des voies efférentesa été réalisée.2QUELQUESRAPPELS SUR LESFAISCEAUX EFFÉ-RENTS AUDITIFS1- Anatomiedes voies efférentesChez les mammifères dont l’homme, lesneurones efférents peuvent être c<strong>la</strong>ssés endeux systèmes anatomiquement mais aussifonctionnellement distincts (Warr etGuinan, 1979 ; Warr, 1992). L’un d’eux,appelé Système Efférent OlivoCochléaireLatéral (SEOCL), est constitué de finesfibres amyéliniques qui trouvent leurorigine dans les régions <strong>la</strong>térales duComplexe Olivaire Supérieur (COS) et seprojettent majoritairement de manière ipsi<strong>la</strong>téralesur les terminaisons afférentes dunerf auditif qui font synapse avec lesCellules Ciliées Internes (CCI). L’autresystème, appelé Système EfférentOlivoCochléaire Médian (SEOCM), estconstitué de fibres myélinisées de plus grosdiamètre dont les corps cellu<strong>la</strong>ires sesituent dans des régions plus médianes duCOS et se projettent de façon bi<strong>la</strong>téraledirectement sur les Cellules CiliéesExternes (CCE) de l’organe de Corti. Lesneurones du SEOCL comme ceux duSEOCM reçoivent une innervation <strong>auditive</strong>et terminent des boucles acoustiques simi<strong>la</strong>iresà <strong>la</strong> boucle responsable de <strong>la</strong> contractiondu muscle de l’étrier. Ainsi ces différentsréflexes dits « efférents » que sont leRéflexe de l’Oreille Moyenne (ROM) et lesréflexes olivocochléaires (ROC) dépendenttous au départ de l’intégrité fonctionnelledu nerf cochléaire (portion <strong>auditive</strong> de <strong>la</strong>VIIIème paire crânienne) et de celle desvoies <strong>auditive</strong>s basses du tronc cérébraldont plus particulièrement le COS. LeROM met en jeu dans sa partie finale le nerffacial (VIIème paire crânienne) avec commeeffecteur les muscles de l’oreille moyenne,alors que les fibres du ROC sont véhiculéesau niveau du nerf vestibu<strong>la</strong>ire. La présencede myéline ayant facilité l’étude des fibresolivocochléaires médianes, le ROC réalisépar le SEOCM reste le plus étudié et lemieux connu, plus particulièrement chezl’homme.2- Exploration fonctionnellede <strong>la</strong> boucle olivocochléairemédianeCette boucle comprend deux voies : unevoie dite « croisée » et une voie dite « noncroisée », toutes deux constituées de fibresse projetant directement sur les CCE maisprovenant respectivement du COS contro<strong>la</strong>téralet du COS ipsi<strong>la</strong>téral. Les CCE étantà l’origine des OtoEmissions AcoustiquesProvoquées (OEAP), c’est-à-dire de sonsde faible amplitude recueillis dans leconduit auditif externe (Kemp, 2002), uneexploration non invasive de ces fibres efférentesmédianes est possible en comparantl’amplitude des OEAP obtenues sans etavec une stimu<strong>la</strong>tion acoustique. Cette stimu<strong>la</strong>tionqui peut être administrée ipsi<strong>la</strong>téralement,contro<strong>la</strong>téralement ou binauralementpar rapport à l’oreille où sont enregistréesles OEAP, provoque une diminutionde l’amplitude des OEAP, cet effet suppresseurtémoignant de <strong>la</strong> fonctionnalitédes fibres efférentes inhibitrices. La stimu<strong>la</strong>tionipsi<strong>la</strong>térale est <strong>la</strong> seule à permettreune exploration spécifique du ROC reposantsur <strong>la</strong> voie médiane croisée mais pourdiverses raisons techniques (rapidité dutest, contraintes de qualité des réponsescochléaires, etc…), il est plus facilementréalisable en routine clinique d’étudierl’effet d’une stimu<strong>la</strong>tion acoustique appliquéedans l’oreille contro<strong>la</strong>térale. Cettetechnique mise au point par Collet et coll.(1990), explore les fibres olivocochléairesmédianes non croisées (figure 1).L’amplitude de l’effet de suppressioncontro<strong>la</strong>térale des OEAP augmente avecl’intensité de stimu<strong>la</strong>tion administrée dansl’oreille contro<strong>la</strong>térale et dépend descaractéristiques physiques (intensité, compositionspectrale et durée) des signauxsonores utilisés (Veuillet et coll. 1991 ;1996). Le bruit b<strong>la</strong>nc continu à 30 dB SL estle plus c<strong>la</strong>ssiquement choisi pour activer lesFigure 1 : Schéma simplifié de <strong>la</strong> méthode d’exploration des voies olivochléairesmédianes croisées (en bleu) et non croisées (en rouge).(En pointillés verts sont indiquées les voies afférentes)NC : noyau cochléaire - COC : complexe olivaire supérieurOEA : otoémissions acoustiquesLes Cahiers de l’Audition - Vol. 20 - n°6 - Novembre/Décembre 2007
Dossier )fibres efférentes. Le fait de restreindre l’explorationà <strong>la</strong> voie non croisée n’est pastrop limitative chez l’homme car à <strong>la</strong> différenced’autres espèces de mammifèrescomme le chat ou le cochon d’Inde (Warret coll., 1986 ; Warr, 1992; Maison et coll.,2003) les effets de suppression ipsi- etcontro<strong>la</strong>téraux ont des amplitudes pratiquementsimi<strong>la</strong>ires (Berlin et coll., 1995 ;Philibert et coll., 1998; Backus et Guinan,2006), ce qui serait d’ailleurs en faveur d’unnombre comparable de fibres croisées etnon croisées dans notre espèce. Même sinous ne disposons encore d’aucune preuveanatomique, cette hypothèse est confortéepar les résultats obtenus chez le singe parThompson et Thompson (1986).Ainsi le ROC est un véritable réflexecochléo-cochléaire et celui passant par lesfibres efférentes olivocochléaires médianesnon croisées est à l’origine du phénomèned’interaction réciproque cochléaire (Colletet coll., 1990)3FONCTIONNEMENTDE LA VOIE OLIVO-COCHLÉAIREMÉDIANE DANS LANA/DA : REVUE DELA LITTÉRATURELa NA/DA se traduit souvent à l’audiométrievocale par un important déficit de <strong>la</strong>reconnaissance de <strong>la</strong> parole, en discordanceavec les seuils mesurés à l’audiométrietonale. Dans ces conditions, l’appareil<strong>la</strong>gede tels patients avec des prothèses <strong>auditive</strong>sconventionnelles se révèle souvent peuefficace, surtout lorsque les potentielsévoqués auditifs corticaux sont dégradés(Rance et coll., 2002 et pour une revueRance et coll., 2005). A un niveau plus périphérique,<strong>la</strong> NA/DA s’accompagne d’anomaliessévères pouvant affecter l’onde I desPotentiels Evoqués Auditifs Précoces(PEAP), voire d’une absence de réponse,alors que les mécanismes cochléaires surlesquels repose l’amplification cochléairerestent fonctionnels comme en témoigne <strong>la</strong>présence du Potentiel MicrophoniqueCochléaire (PMC) mais aussi des OEAP(Starr et coll. 1996). Il subsiste encorebeaucoup d’interrogations sur le lieu dedysfonctionnement : est-ce une atteinte de<strong>la</strong> CCI, un mauvais coup<strong>la</strong>ge entre <strong>la</strong> CCI etles fibres du nerf auditif au niveau de <strong>la</strong>jonction synaptique, une synchronisationaltérée du nerf auditif (pouvant résulterd’une démyélinisation et/ou d’un fonctionnementsynaptique anormal (Zeng et coll.,2005) ou encore d’une atteinte des cellulesdu ganglion spiral (Starr et coll., 1996 ; Salviet coll., 1999 ; Starr et coll., 2003) ? Enoutre, puisque les CCE restent fonctionnellementintègres, sont-elles toujours souscontrôle efférent ou les fibres efférentes sedésynchronisent-elles également ?En 1993, Berlin et ses col<strong>la</strong>borateurs ontété les premiers à tester l’intégrité fonctionnelledes fibres efférentes médianeschez deux patients ayant des profils deperte <strong>auditive</strong> très différents, l’un présentantune perte <strong>auditive</strong> bi<strong>la</strong>térale et symétriquede 65 dB sur 0,25, 0,5 et 1 kHz etl’autre des seuils sub-normaux bi<strong>la</strong>téralementjusqu’à 2 kHz. En revanche, dans lesdeux cas, les PEAP et les ROM ipsi- etcontro<strong>la</strong>téraux étaient absents bi<strong>la</strong>téralementalors que des OEAP au clic étaienttrouvées sur les deux oreilles. Aucun effetde <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion acoustique contro<strong>la</strong>térale(quel que soit le côté stimulé, le type et l’intensitédu stimulus) n’a été trouvé sur lesOEAP de ces deux patients, suggérant uneinterruption dans <strong>la</strong> boucle cochléocochléaire.Cette interruption peut s’expliquertrès simplement par le fait que lesystème efférent a besoin, pour être activé,d’une entrée <strong>auditive</strong> reposant sur <strong>la</strong> voie<strong>auditive</strong> afférente probablement atteintechez ces deux patients. Par <strong>la</strong> suite, d’autrescas simi<strong>la</strong>ires de patients avec NA/DA etabsence de suppression contro<strong>la</strong>térale desOEAP au clic (Berlin et coll., 1994 ; Siningeret coll., 1995 ; Hood et coll., 1996 ; Starr etcoll., 1996 ; Starr et coll., 1998 ; Hood,1999) ou d’autres sortes d’OEAP, commeles produits de distorsion acoustiques(Abda<strong>la</strong> et coll., 2000) ont été décrits.Hood et coll. (2003) ont retrouvé uneabsence d’effet de suppression contro<strong>la</strong>téraledes OEAP chez dix patients présentantune NA/DA bi<strong>la</strong>térale comparés à dixsujets contrôle soigneusement appariés. Ilsrapportent également une absence d’effetdes stimu<strong>la</strong>tions ipsi<strong>la</strong>térale et binauralechez les patients. Par contre, chez unpatient présentant une NA/DA uni<strong>la</strong>téralegauche, <strong>la</strong> fonction <strong>auditive</strong> droite étantnormale, l’absence de modification d’amplitudedes OEAP n’a été observée que lorsdes enregistrements des réponsescochléaires sur l’oreille droite ou sur l’oreillegauche avec présentation du bruitdans l’oreille gauche (respectivementcondition « oreille droite contro<strong>la</strong>térale »et « oreille gauche ipsi<strong>la</strong>térale ». Ainsilorsque <strong>la</strong> stimu<strong>la</strong>tion acoustique est administréesur l’oreille non atteinte, le ROCest présent, ce qui signifie que les fibresefférentes se projetant sur les CCEseraient intactes du côté de <strong>la</strong> NA/DA. Lesabsences d’effets décrits en cas d’atteintebi<strong>la</strong>térale ne s’expliqueraient que parce que<strong>la</strong> voie afférente (fibres <strong>auditive</strong>s primairesde type I) n’est pas capable de générer destaux de décharge suffisamment élevés ousuffisamment synchronisés pour activer lesneurones efférents. Il en est de même pourle ROM qui, lorsque <strong>la</strong> NA/DA est uni<strong>la</strong>térale,est trouvé contro<strong>la</strong>téralement sur l’oreilleatteinte (stimu<strong>la</strong>tion de <strong>la</strong> voie afférentede l’oreille saine) mais est toujoursabsent lorsque les stimu<strong>la</strong>tions acoustiques(ipsi- et contro<strong>la</strong>térale) sont administréessur l’oreille atteinte (Konrádsson, 1996). Ilexiste des moyens d’activer « non acoustiquement» le ROM, ce qui permet en casd’atteinte de <strong>la</strong> voie afférente de pouvoirtout de même vérifier l’intégrité fonctionnellede <strong>la</strong> VIIème paire crânienne et dumuscle de l’étrier (Gorga et coll., 1995).Nous ne disposons pas d’un tel moyenpour le ROC dont <strong>la</strong> mesure de <strong>la</strong> fonctionnalitéest fortement dépendante de l’intégritéfonctionnelle de <strong>la</strong> voie afférente, enparticulier de <strong>la</strong> voie afférente contro<strong>la</strong>téralelorsque l’amplitude des OEAP estmesurée sans et avec une stimu<strong>la</strong>tionacoustique appliquée dans l’oreille contro<strong>la</strong>térale.Cette impossibilité d’activation desvoies efférentes pourrait contribuer àexpliquer les mauvaises performances des59Les Cahiers de l’Audition - Vol. 20 - n°6 - Novembre/Décembre 2007