( DossierCHAPITRE VIII :QUE FAIRE DES PRODUITS DE DISTORSIONACOUSTIQUE DANS LE CONTEXTE DELA RECHERCHE D’UNE NEUROPATHIE AUDITIVE ?66RÉSUMÉ/ENGLISHSUMMARYDans les <strong>neuropathie</strong>s <strong>auditive</strong>s, l’auditionest affectée malgré <strong>la</strong> présence d’une activitécochléaire : <strong>la</strong> persistance des otoémissionsacoustiques est un élément quifait partie intégrante de <strong>la</strong> définition del’entité. Comme ils permettent l’explorationd’un intervalle de fréquences <strong>la</strong>rge etqu’ils résistent bien aux problèmes transmissionnelsfréquents chez l’enfant, lesproduits de distorsion acoustique constituentun test particulièrement adapté.In auditory <strong>neuropathie</strong>s, hearing is impaireddespite the presence of cochlear activity:extant otoacoustic emissions are thus an irrefutableproof of the diagnosis. Because theyexplore a broad range of frequencies and arerobust enough in re<strong>la</strong>tion to the frequentoccurrence of conductive impairment ininfants, distortion-products otoacoustic emissionsappear as a particu<strong>la</strong>rly suitable test.Les produits de distorsion acoustique(PDA) forment une catégorie d’otoémissionsprovoquées. Cette catégorie requiertl’envoi simultané dans le conduit auditifexterne de deux sons purs (dits primaires)de fréquences f1 et f2 proches (conventionnellement,f2>f1) et de niveaux L1 etL2, soit égaux, dans certains protocoles,soit légèrement asymétriques (L1>L2). Lescellules ciliées externes de <strong>la</strong> cochlée(CCE) sont <strong>la</strong> cible de l’investigation parPDA. Les CCE amplifient les sons dont <strong>la</strong>fréquence est proche de leur fréquence derésonance, et comme leurs stéréocils ontun mouvement qui distord l’onde acoustiqueau voisinage de cette fréquence, le faitde recevoir deux fréquences f1 et f2 leurfait engendrer des PDA aux fréquencescombinaisons entières de f1 et f2 (nf1 +/-mf2 avec m et n entiers, et en particulier2f1-f2). Il s’agit d’une distorsion d’intermodu<strong>la</strong>tion,assez c<strong>la</strong>ssique dans les appareilsauditifs de médiocre qualité mais qui sur lep<strong>la</strong>n physiologique, est caractéristique desCCE à l’exclusion de toute autre structure,aux intensités où il est recherché.PAUL AVANLaboratoire de BiophysiqueSensorielle(UPRES-EA 2667)Faculté de MédecineUniversité d’Auvergne,Clermont-Ferrandpaul.avan@u-clermont1.frLe PDA à 2f1-f2 (dit PDA « cubique ») estle plus ample chez l’homme et à ce titre, leplus facile à mettre en évidence, c’est pourquoisa recherche est devenue un test cliniquede <strong>la</strong> fonctionnalité des CCE dans <strong>la</strong>région où les primaires f1 et f2 interfèrentle plus, c’est-à-dire celle codant pour f2. Enpratique, chez un sujet normal, les primairesdoivent être maintenus pendant 1 à 4 spour qu’un PDA significatif puisse êtrerecueilli, et un test complet de PDA comprendle test de plusieurs couples (f1, f2), 3 à4 par octave, ba<strong>la</strong>yant <strong>la</strong> partie médiane duLes Cahiers de l’Audition - Vol. 20 - n°6 - Novembre/Décembre 2007
Dossier )spectre audible. Lorsque le niveau de PDAest tracé en fonction de f2, il en résulte un« PDA-gramme » entre 0,5 et 8 kHz(même si l’octave 0,5-1 kHz très sensibleau bruit endogène fournit des donnéesbruitées parfois difficiles à interpréter). Leterme « PDA-gramme » est un jeu de motssur « audiogramme » et doit être priscomme tel : il ne s’agit de tester que lesCCE et dans le contexte des <strong>neuropathie</strong>s<strong>auditive</strong>s, le lecteur a déjà assimilé l’idéeque l’audiogramme tonal véritable peutêtre très différent du « PDA-gramme », afortiori l’audiogramme vocal !Mais évidemment, loin d’être un test superfluou inadapté, <strong>la</strong> recherche des otoémissionsen général, et des PDA en particulier,est indispensable dans le contexte des<strong>neuropathie</strong>s <strong>auditive</strong>s puisque <strong>la</strong> présencedes PDA malgré des PEA très anormauxfait partie intégrante de <strong>la</strong> définitionmême ! Ne pas chercher à documenter lesotoémissions entacherait un dossier desurdité neurale d’une <strong>la</strong>cune majeure.Se pose alors <strong>la</strong> question de <strong>la</strong> catégoried’otoémissions : <strong>la</strong> signification physiologiquede toutes les otoémissions est simi<strong>la</strong>ireet <strong>la</strong> pratique clinique accorde une<strong>la</strong>rge prédominance à <strong>la</strong> recherche desotoémissions provoquées par clics (ditesOEA transitoires), en tout cas en Europe.La raison en est double : historique (DavidKemp a commercialisé le 1er appareil derecueil d’OEA transitoires, des annéesavant que des appareils de PDA nesortent), et pratique (les OEA transitoiresrecueillent d’un seul coup les réponses d’un<strong>la</strong>rge intervalle de cochlée, 1 à 4 voire 6kHz, et surtout ont un aspect que le clinicienreconnaît au 1er coup d’œil commevalide ou pas valide, tandis que les PDAnécessitent de ba<strong>la</strong>yer l’intervalle analysécouple de fréquences par couple, etsurtout n’ont pas d’aspect à proprementparler, n’étant que des chiffres abstraitsissus d’un calcul mathématique).Pourquoi alors certains s’orientent-ils délibérémentvers <strong>la</strong> recherche de PDA (nousen faisons partie) ? D’abord <strong>la</strong> vitesse deréponse : devant un enfant dont les PEAsont p<strong>la</strong>ts, <strong>la</strong> présence en 2 secondes d’unbeau PDA signe pratiquement le diagnostic...en 2 secondes. Ceci dit les OEA transitoiresauraient fait de même en 30 à 60secondes, l’avantage pratique est minime.Plus sérieusement, d’autres raisons peuventfaire pencher <strong>la</strong> ba<strong>la</strong>nce. La présence fréquentede petits troubles transmissionnelschez l’enfant peut rendre délicate <strong>la</strong> recherched’OEA transitoires, très vulnérablesparce que <strong>la</strong> perte transmissionnellecompte double (à l’aller le stimulus estatténué, et au retour l’OEA déjà plus faibleen raison du stimulus atténué est à sontour atténuée). Les PDA ont une réservede niveau comme on le voit sur cette comparaisonchiffrée : un clic d’OEA a un niveaude l’ordre de 40-50 dB au-dessus de sonseuil d’audibilité ; un stimulus de PDA peutêtre ajusté à un niveau de 75 dB SPL sansrisque d’entraîner une distorsion parasiteinstrumentale.Enfin et surtout, une <strong>neuropathie</strong> <strong>auditive</strong>peut, a priori, coexister avec de petits dysfonctionnementsdes CCE. Dans un autredomaine, celui des synaptopathies, le cas del’otoferline illustre une telle coïncidence : i<strong>la</strong> été décrit que les OEA transitoires, présentestrès tôt, pouvaient disparaître avecl’âge chez des enfants atteints d’une mutationde l’otoferline. En ce qui concerne lesmodèles murins de surdité, certains fondsgénétiques sur lesquels sont introduites lesmutations sont le siège d’une dégénérescenceprogressive des CCE, en générallente, mais d’évolution en fait très variabled’un individu à un autre : <strong>la</strong> c<strong>la</strong>ssique soucheC57-Bl6 en fournit un modèle.Avec les OEA transitoires, dès qu’un dysfonctionnementdes CCE est de nature àentraîner une perte <strong>auditive</strong> (d’originemicromécanique) de plus de 20 à 30 dB, lesignal d’OEA peut disparaître, même s’ilreste des CCE et que <strong>la</strong> perte <strong>auditive</strong> n’estque de 35 dB. En fait devant des OEA transitoiresabsentes, rien ne permet de chiffrerle degré de surdité. Les PDA permettent derepousser cette limite. Des travaux récentsmontrent que les PDA peuvent détecter unfonctionnement résiduel des CCE même si<strong>la</strong> perte <strong>auditive</strong> micromécanique atteint 50à 60 dB. Avec des PDA résiduels encoreprésents et un seuil de PEA, par exemple,supérieur à 100 dB, <strong>la</strong> contradiction qui faitévoquer un diagnostic de <strong>neuropathie</strong> <strong>auditive</strong>comme explication possible reste présenteet continue d’attirer l’attention. LesPDA ont donc toute leur p<strong>la</strong>ce de « révé<strong>la</strong>teur» dans le cheminement à <strong>la</strong> recherched’une <strong>neuropathie</strong> <strong>auditive</strong>.RÉFÉRENCESRéférences sur les PDA, dans lecontexte soit général, soit des hautsniveaux de stimu<strong>la</strong>tion, soit des<strong>neuropathie</strong>s <strong>auditive</strong>s :1. Whitehead ML, Stagner BB,Lonsbury-Martin BL, Martin GK.Measurement of otoacoustic emissions forhearing assessment. IEEE Eng. Med. Biol.1994; 13: 210-226.2. Lonsbury-Martin BL, Martin GK.Evoked otoacoustic emissions as objectivescreeners for ototoxicity. Seminars inhearing 2001; 22:377-391.3. Avan P, Bonfils P, Gi<strong>la</strong>in L, Mom T.Physiopathological significance of distortion-productotoacoustic emissions at 2f1-f2 produced by high- versus low-levelstimuli. J.Acoust.Soc.Am. 2003; 113: 430-4414. Carvalho S, Mom T, Gi<strong>la</strong>in, L,Avan P.Frequency specificity of distortion-productotoacoustic emissions produced by highleveltones despite inefficient cochlear electromechanicalfeedback. J.Acoust.Soc.Am.2004; 116: 1639-1648.5. Avan P, Bonfils P. Distortion-productotoacoustic emission spectra and highresolutionaudiometry in noise-inducedhearing loss. Hear Res. 2005; 209: 68-75.6. Delmaghani S, Del Castillo FJ,Michel V, Leibovici M,Aghaie A, Ron U,Van Laer L, Ben-Tal N, Van Camp G,Weil D, Langa F, Lathrop M, Avan P,Petit C. Mutations in the gene encodingpejvakin, a newly identified protein of theafferent auditory pathway, cause DFNB59auditory neuropathy, Nat Genet. 2006; 38:770-778.67Les Cahiers de l’Audition - Vol. 20 - n°6 - Novembre/Décembre 2007