J'ai mang l'innocence - elgweb.com

" J’ai mangé l’innocence "
(Erwan Le Goffic)
— Ah ok… eh ben... il faut que tu envoies ton CV avec une photo et une lettre
de motivation. Ensuite tu viens le déposer directement ici, et après, ils te
rappelleront s’ils sont intéressés pour un entretien.
— Hmm hmm, d’accord.
— … Et envoie ton CV dans plusieurs restaus, t’augmenteras tes chances de
dégotter un travail comme ça.
— D’accord, j’oublierai pas, eh bien merci.
— De rien.
Content avec ces précieuses informations, j’ai rejoint Frank qui m’attendait
près de la sortie, j’étais tout sourire, et ce soir-là en rentrant, j’ai commencé à
rédiger mon CV.
Pas facile de faire son CV quand on a rien à mettre dessus : Aucune
expérience professionnelle, même pas un job d’été, rien. J’aurais pu inventer un
été passé à ramasser des haricots, les patates ou je ne sais quoi encore qui
poussait dans les champs près de chez mes parents, mais ça aurait été mentir…
Pourtant si je ne faisais pas ça, j’allais avoir une feuille bien vide… Allez ! :
« Expériences professionnelles : Eté 1993, 1994, 1995 : Travail saisonnier d’été
dans le milieu agricole, ramassage des cultures dans les champs ». Tant qu’à
faire j’indiquais que je faisais ça depuis trois étés, ça allait faire bosseur. Pour la
lettre de motivation, je bûchais l’hypocrisie en manifestant un grand désir de
pouvoir vivre cette possible nouvelle expérience professionnelle afin de me
familiariser avec le travail en équipe et la relation avec le client. J’imaginais déjà
dire à l’entretien que ce genre d’expérience pourrait sûrement m’aider plus tard
dans mon futur métier d’informaticien… Nickel ! le seul truc que je pouvais
craindre, c’était qu’ils trouvent ça trop gros.
Après je suis allé fièrement avec mon CV et ma lettre au mac-do où la
serveuse m’avait donné la marche à suivre. C’était l’heure du midi, et le restau
était bondé. J’ai entrepris de faire la queue comme tout le monde, j’ai ainsi eu
tout le temps pour voir que c’était vraiment le gros coup de feu derrière les
caisses. Deux personnes avant que ce ne soit mon tour, j’ai décidé de m’en aller
et de revenir à une heure plus creuse, histoire que mon CV ne finisse pas en
cornet de frittes dans l’agitation.
Je suis retourné le lendemain sur le coup des onze heures. Là il n’y avait pas
foule, tout était calme et tranquille. J’ai attendu derrière un des rares clients qui
passait commande, et quand il a eu fini, je me suis avancé d’un pas.
— Vous désirez ?
— C'est-à-dire que… Vous voyez, je voudrais postuler pour un poste, et…
— Ah… heu… attendez, je vais vous appeler un responsable… Deux
secondes.
Le caissier est parti sans que je n’aie eu le temps de répondre quoique ce soit
d’autre (de toute façon, je n’avais pas grand-chose à dire de plus). Il est revenu
accompagné de quelqu’un d’un peu moins jeune que lui, et qui, contrairement
aux autres employés, portait chemise blanche et cravate. À mi-chemin, le
serveur me désigna d’un geste rapide du menton en disant quelques mots. Le
gars en cravate contourna la caisse, arriva d’un pas rapide à ma hauteur et me
serra la main.
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