J'ai mang l'innocence - elgweb.com

" J’ai mangé l’innocence "
(Erwan Le Goffic)
en claquant la porte (n’oubliant quand même pas de fermer derrière moi). Il fallait
que je sorte, que je prenne l’air, que je réfléchisse.
Je n’ai eu qu’à peine le temps de descendre d’un étage que je l’ai entendu
envoyer à nouveau des coups dans la porte. Et il n’y allait pas de main morte le
bougre, s’il continuait, il allait rameuter tout l’immeuble. Je suis remonté à toute
vitesse chez moi, complètement hors de moi, je n’en pouvais plus. À peine ai-je
eu le temps d’entrebâiller la porte qu’il l’a ouverte d’un coup et a essayé de me
forcer le passage. Mon sang n’a fait qu’un tour, et fou de rage, je l’ai saisi des
deux mains. En y allant comme un bœuf, je l’ai ramené de force à l’intérieur et je
l’ai poussé sur le canapé. Il a beuglé comme un veau et j’ai eu vraiment peur que
les voisins ne rappliquent, mais merci l’indifférence des villes, personne n’est
venu voir. J’ai refermé la porte, Christophe pleurait tout ce qu’il pouvait.
— MAIS TU VAS ARRETER A LA FIN !
Mais non, il continuait de chialer, alors j’ai continué à l’engueuler, mais rien n’y
faisait.
Et puis d’un coup il a fini par se taire… et il s’est mis à se balancer, d’avant en
arrière, les bras croisés devant lui. Je l’ai regardé, ahuri, impuissant, le voir se
renfermer dans sa coquille, le regard vide, le visage sans expression.
Tout ça était allé loin, bien trop loin. Une chose m’a semblé alors évidente : ça
ne pouvait plus durer comme ça.
J’ai tenté de le consoler, de lui dire des mots gentils, mais ça ne servait à rien
: Tel un métronome, imperturbable, il continuait de se balancer, l’esprit
visiblement bien ailleurs. Je crois que c’est à ce moment-là que moi aussi j’ai
décroché, je crois que j’ai arrêté de réfléchir, de toute façon, il n’y avait plus à
réfléchir, il fallait faire quelque chose : Je suis allé dans la cuisine et j’ai fait
chauffer du lait. J’y ai mis une bonne dose de chocolat en poudre et quatre ou
cinq somnifères : de quoi vraiment l’assommer cette fois-ci.
Ma bouteille de whisky était restée sur la table, j’en ai bu une grande goulée
directement à la bouteille, et puis je suis retourné dans le salon avec le chocolat
chaud à la main. Christophe faisait toujours le pendule, j’ai posé la tasse près de
lui sur la table basse, et, debout devant lui je lui ai dis d’un ton glacial : « bois ». Il
n’a pas réagi. Alors j’ai répété, sur le même ton, inlassablement, « bois »,
comme bloqué à mon tour dans son jeu. Je ne voulais plus penser, il ne fallait
plus que je pense, de toute façon, j’avais pris ma décision.
— Bois… bois… bois…
C’était au premier qui craque, il allait bien finir par arrêter de se balancer.
— Bois… bois… bois…
Et puis à un moment, sans que son visage ne marque forcément une
différence, il s’est penché vers la tasse, la saisit, et bu tout d’un coup. Il dit d’un
ton neutre que c’était bon, et puis il reprit son balancement. J’étais effaré de le
voir comme ça, et maintenant qu’il avait bu la tasse, je ne me sentais pas mieux
pour autant, le plus dur restait à venir. Tête basse, sans rien dire, je suis retourné
dans la cuisine, et je me suis mis à téter la bouteille et à fumer, en attendant, en
attendant que ça agisse, et ça n’allait pas être facile après, oh non.
J’ai fini par me calmer sur la bouteille, sinon j’allais finir par terre avant d’avoir
fait ce que je devais faire. J’ai même mangé un peu, histoire de me revigorer,
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