J'ai mang l'innocence - elgweb.com

" J’ai mangé l’innocence "
(Erwan Le Goffic)
— Rah là là… tu sais, je retournerai bien avec toi, là-bas !
Et qu’est ce que j’attendais comme réponse ? qu’elle me dise avec un grand
sourire « Oh ben oui David ! On va retourner chez papa maman. Hein ? tu es
parti depuis déjà… pfou ! bien une demi-journée ! tu m’étonnes qu’ils doivent
avoir hâte de te revoir depuis tout ce temps ! Et puis pour tes études ? tant pis !
Tu seras bien mieux à te faire dorloter à la maison ! »
Et en effet ça n’a pas été la réponse qu’elle m’a faite.
Son visage s’est assombri, j’ai de suite reconnu son air crispé… : Pas bon
pour moi tout ça. Elle a ensuite froncé les sourcils, m’a fait « hein ? », m’a
regardé de travers… Là j’ai voulu dire quelque chose avant qu’elle ne pique sa
crise, mais je crois que j’ai hésité un peu trop longtemps :
— Hé ! quand même ! C’est pas de ma faute si tu te retrouves ici mon gars !
T’aurais dû te bouger le cul avant !
Eh voilà ! Pour la ennième fois en deux mois, j’allais encore entendre les
mêmes reproches, ce sempiternel laïus qui m’avait déjà accompagné tout l’été.
— Nan mais t’imagines quand même qu’il y a un IUT 1 à dix kilomètres de la
maison ? T’aurais vraiment pu t’y prendre plus tôt pour tes inscriptions ! Là il faut
faire trois cents bornes parce que « monsieur » s’est laissé porter par le courant
au moment des inscriptions aux écoles… ! Ben oui ! mais t’as chié mon gars !
alors après faut pas non plus aller te plaindre si ça te dérange d’être loin de papa
maman.
Qu’est ce que je pouvais répondre à ça de toute façon ? Bien sûr que j’étais
fautif ! Mais franchement, je n’avais pas envie de continuer cette « discussion »,
je l’avais déjà assez eue et re-eue comme ça. J’ai plutôt essayé de calmer le
jeu :
— OK ok ! Bon ça va, j’ai rien dit… désolé… On oublie.
Je l’ai regardé ensuite sans ciller, mon appel au calme allait-il porter ses
fruits ? Eh bien, elle s’est un peu décrispée, et après avoir laissé échapper un
long soupir, c’est finalement d’un air presque enjoué qu’elle m’a dit :
— Pfff ! T’es pas dégourdi quand même toi !
C’était bien ma sœur ça, à terminer ses réprimandes en vous envoyant un bon
gros dernier pic enrobé d’un sourire comme si de rien était. Elle finissait toujours
par faire passer ce qu’elle pensait de toute façon.
— Bon, allez, tu as raison (ça valait mieux pour ma tranquillité)… Dis ? il faut
peut-être que je te laisse partir, non ?
— Oui, j’ai de la route qui m’attend.
On s’est alors regardé pendant un long moment.
— Bon retour alors, j’ai fini par lui dire.
— Oui, merci.
Une bise rapide, elle a pris son sac, j’ai ouvert la porte.
— Je vais commencer à déballer mes cartons, mentis-je.
— Bon courage alors.
On s’est encore dit une ou deux banalités, puis elle a regagné sa voiture
garée un peu plus bas dans la rue. Je suis resté sur le perron pour la regarder
partir jusqu'à ce qu’elle démarre puis s’en aille.
1 IUT : Institut Universitaire de Technologie.
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