J'ai mang l'innocence - elgweb.com

" J’ai mangé l’innocence "
(Erwan Le Goffic)
Craignant qu’il ne se mette à aboyer, je n’ai pas insisté davantage. Je me suis
donc dirigé vers la sortie principale de la maison… à mon grand soulagement,
les clefs étaient sur la serrure. Un peu de précaution au moment de l’ouvrir pour
ne pas faire de bruit, et le York m’a tiré à l’extérieur, tout excité qu’il était d’aller
se promener dehors. Je l’ai tenu fermement en rabattant la porte derrière moi.
« Qu’est ce que c’est con un chien ! » ne pouvais-je m’empêcher de penser en
suivant Trébor au bout de sa laisse, je le laissais ainsi vagabonder quelques
minutes sans lui offrir de résistance. Malgré quelques sueurs froides, tout s’était
finalement bien passé, je m’en étais tiré avec brio, enfin je pouvais me détendre !
J’ai goûté ce petit moment de succès avec délice. Puis finalement je suis revenu
à Trébor, car petit problème, il était encore vivant.
Au croisement suivant, j’ai tiré un peu sur sa laisse pour tourner à gauche,
j’avais une idée d’où aller. Cinq minutes plus tard, nous sommes arrivés à un
passage à niveau de la ligne de tramway qui va du centre de Nantes vers le
stade de football de La Beaujoire. Il était une heure du matin, autant dire
qu’aucun tram ne circulait à cette heure-là. J’ai dû encore tirer sur sa laisse pour
qu’il me suivre et j’ai marché le long de la voie pendant une centaine de mètres.
Je me sentais bien, calme, détendu, confiant. Arrivé à la hauteur de buissons
bordant la voie, je me suis arrêté. Ces buissons nous cachaient des quelques
rares maisons aux alentours : l’endroit était parfait.
Le cabot trépignait, sûrement voulait-il rentrer à la maison de sa moman, j’ai
donc coincé sa laisse sous mon pied pour qu’il ne puisse pas partir le temps que
je remette mes gants que j’avais fourrés dans ma poche en sortant de la maison.
J’ai repris ensuite la laisse en main et j’ai tiré sans trop de délicatesse pour
ramener le York vers moi, il commençait à s’agiter sérieusement… il n’allait plus
le faire bien longtemps. Je l’ai plaqué au sol en appuyant d’abord sur son dos
avec ma main puis en le bloquant avec mon genou. Le chien commençait à
couiner, mais il n’a pas eu trop le temps de continuer : J’ai saisi son collier,
trouvé la boucle de réglage, l’ai dégrafée, puis j’ai tiré un grand coup sec avant
de reverrouiller (difficilement) le fermoir. Ensuite je me suis relevé tranquillement
pour regarder.
Oui ? Vous avez raison, à la base, je comptais l’étrangler de mes mains, mais
voyez-vous, si je pouvais éviter de me faire mordre, ça m’arrangeait… En tout
cas Trébor lui, il n’appréciait pas trop : Après deux ou trois secondes passées
immobile, il commença à tourner dans tous les sens en toussant comme un
fumeur en fin de carrière. Moi j’étais assez satisfait de mon geste, en plus le
cabot, il avait bien failli me mettre à mal dans la maison, et avoir été tenu en
respect par un chien pas plus gros qu’un ballon de rugby m’avait un peu vexé.
Ça faisait maintenant presque une minute que le York toussait, et il était
toujours debout : je n’avais pas dû serrer assez fort et l’air devait toujours passer.
J’ai repris le collier en arrivant par-derrière le chien, et cette fois-ci j’ai serré de
toutes mes forces avant de bloquer le fermoir. Là, Trébor n’a plus toussé,
toujours debout il a convulsé à quelques reprises (cherchant sûrement une
goulée d’air impossible maintenant à obtenir) avant de finalement tomber sur le
côté, continuant de se tordre par à-coups, de moins en moins vite, et de moins
en moins fort.
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