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Lettres de la prison - Les Classiques des sciences sociales - UQAC

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Antonio GRAMSCI, <strong>Lettres</strong> <strong>de</strong> <strong>la</strong> <strong>prison</strong> (1926-1937). Traduction, 1953. 206<br />

(Lettre 112.)<br />

Cher Delio,<br />

Retour à <strong>la</strong> table <strong>de</strong>s matières<br />

Prison <strong>de</strong> Turi, 22 février 1932.<br />

Ton petit tableau très vivant avec <strong>de</strong>s pinsons et <strong>de</strong>s petits poissons m'a plu. Si les<br />

pinsons s'enfuient par moment <strong>de</strong> <strong>la</strong> petite cage, il ne faut pas les saisir par les ailes<br />

ou par les pattes : elles sont délicates et elles peuvent se casser et se déchirer. Il faut<br />

prendre tout leur corps à pleine main sans serrer. Étant enfant, j'ai élevé beaucoup<br />

d'oiseaux et même d'autres animaux, <strong>de</strong>s faucons, <strong>de</strong>s hiboux, <strong>de</strong>s coucous, <strong>de</strong>s pies,<br />

<strong>de</strong>s corneilles, <strong>de</strong>s chardonnerets, <strong>de</strong>s canaris, <strong>de</strong>s pinsons, <strong>de</strong>s alouettes, etc., etc...<br />

J'ai élevé une couleuvre, une belette, <strong>de</strong>s hérissons, <strong>de</strong>s tortues. Voici comment j'ai vu<br />

<strong>de</strong>s hérissons faire <strong>la</strong> récolte <strong>de</strong>s pommes. Au début d'une nuit d'automne, mais où<br />

une lune lumineuse resplendissait, je me suis rendu avec un gamin <strong>de</strong> mes amis dans<br />

un champ plein d'arbres fruitiers et plus particulièrement <strong>de</strong> pommiers. Nous nous<br />

sommes cachés dans un fourré à contre-vent. Tout à coup les hérissons, cinq, <strong>de</strong>ux<br />

gros et trois tout petits, ont débouché. En file indienne, ils se sont dirigés vers les<br />

pommiers, ils ont tournaillé parmi les herbes et puis ils se sont mis au travail. En<br />

s'aidant <strong>de</strong> leurs petits museaux et <strong>de</strong> leurs petites jambes ils faisaient rouler les<br />

pommes que le vent avait détachées <strong>de</strong>s arbres et ils les rassemb<strong>la</strong>ient dans un endroit<br />

propre, les unes très près <strong>de</strong>s autres. Mais les pommes tombées à terre ne suffisaient<br />

pas. Le plus grand <strong>de</strong>s hérissons leva le museau, regarda autour <strong>de</strong> lui, choisit un<br />

arbre fort courbé et il y grimpa suivi <strong>de</strong> sa femelle. Ils se posèrent sur une branche<br />

chargée <strong>de</strong> fruits et ils commencèrent à s'y ba<strong>la</strong>ncer en mesure : leurs mouvements se<br />

communiquèrent à <strong>la</strong> branche qui oscil<strong>la</strong> toujours plus par secousses brusques et un<br />

grand nombre <strong>de</strong> pommes tombèrent à terre. Celles-ci transportées auprès <strong>de</strong>s autres,<br />

les hérissons, grands et petits, les piquants hérissés, se roulèrent et s'étendirent sur les<br />

pommes qui <strong>de</strong>meurèrent prises sur les piquants : les jeunes hérissons avaient piqué<br />

peu <strong>de</strong> pommes, mais le père et <strong>la</strong> mère avaient réussi à enfiler sept ou huit pommes<br />

chacun. Alors qu'ils reprenaient le chemin <strong>de</strong> leur tanière, nous sortîmes <strong>de</strong> notre<br />

cachette, nous jetâmes les hérissons dans un petit sac et nous les ramenâmes à <strong>la</strong><br />

maison. Il me revint le hérisson mâle et <strong>de</strong>ux petits. Je les, tins <strong>de</strong> nombreux mois en<br />

liberté dans notre cour. Ils donnaient <strong>la</strong> chasse à toutes les petites bêtes, aux b<strong>la</strong>ttes,<br />

aux hannetons, etc., et ils se nourrissaient <strong>de</strong> fruits et <strong>de</strong> feuilles <strong>de</strong> sa<strong>la</strong><strong>de</strong>. <strong>Les</strong><br />

feuilles fraîches leur p<strong>la</strong>isaient beaucoup, et c'est ainsi que je pus quelque peu les<br />

domestiquer. Ils avaient grand peur <strong>de</strong>s chiens. Je m'amusais à amener dans <strong>la</strong> cour<br />

<strong>de</strong>s couleuvres vivantes pour voir comment les hérissons les chassaient. Dès que le<br />

hérisson découvrait <strong>la</strong> couleuvre il se mettait lestement sur ses quatre petites jambes

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