11) Brouillard au pont de Tolbiac - QueenDido.org
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Cette succession <strong>de</strong> numéros avait donné lieu à <strong>de</strong> savants jeux <strong>de</strong> lumière <strong>au</strong><br />
cours <strong>de</strong>squels j'avais cherché Geneviève Levasseur du regard. A travers la fumée du<br />
tabac, je l'aperçus à une table fort éloignée <strong>de</strong> la mienne, en compagnie d'amis. D'amis<br />
à elle. Elle ne paraissait pas s'amuser follement. Le genre veuve obligée, <strong>de</strong> par sa<br />
profession, à para<strong>de</strong>r coûte que coûte, ris donc Paillasse et tout le Saint-Frus- quin. Je<br />
me débrouillai pour cingler vers elle. Je stoppai <strong>de</strong>vant sa table. Elle leva les yeux sur<br />
moi. Ses yeux en aman<strong>de</strong>, un peu verts. Ils pétillèrent, mais elle me décocha un sourire<br />
triste :<br />
— Oh ! Vous ici ? Par quel hasard ?<br />
— Je lui rendis son sourire :<br />
— Je suis une célébrité parisienne, voyons.<br />
— Oh ! ça, vous pouvez le c[ire...<br />
Elle s'excusa <strong>au</strong>près <strong>de</strong> ses voisins <strong>de</strong> table et vint me rejoindre :<br />
—... Mon Dieu I quel homme affreux vous êtes, min<strong>au</strong>da-t-elle.<br />
Sa robe du soir lui seyait à ravir. Le contraire eût été étonnant. Mannequin.<br />
Elle montrait plus <strong>de</strong> chair que quelques heures <strong>au</strong>paravant et ne <strong>de</strong>vait pas avoir<br />
be<strong>au</strong>coup <strong>de</strong> linge sous son fourre<strong>au</strong> noir. C'est très joli, ces robes sans ép<strong>au</strong>lettes,<br />
mais c'est trompeur. Les ép<strong>au</strong>les, les bras et une appréciable partie du dos sont<br />
découverts, toutefois le corsage minimum baleiné, je ne sais pas comment ça s'appelle,<br />
cette partie <strong>de</strong> la robe qui cache les seins, quoi, c'est un attrape-nig<strong>au</strong>d. Ça colle à la<br />
pe<strong>au</strong>, ça y adhère, celle qui le porte peut se pencher, faire les pieds <strong>au</strong> mur sans crainte<br />
d'en montrer plus qu'il n'est permis. Une véritable escroquerie, si on veut mon avis.<br />
— Affreux ? dis-je. Pourquoi ?<br />
— Pour rien. Vous m'invitez à danser ?<br />
Elle posa sa main sur mon bras. Son parfum domina tous les <strong>au</strong>tres et me<br />
chatouilla les narines.<br />
— Excusez-moi, bafouillai-je. Je ne sais pas.<br />
— Vrai?<br />
— Vrai.<br />
— Il f<strong>au</strong>dra apprendre.<br />
— C'est une idée. Quand j'<strong>au</strong>rai le temps...<br />
— Oui...<br />
Son regard se voila et elle frissonna :<br />
—... Quand vos cadavres vous laisseront quelques loisirs.<br />
— Ah! Vous avez appris? C'est vrai. Les journ<strong>au</strong>x. C'est pour cela que vous<br />
me traitiez d'homme affreux ? Vous savez, je n'y suis pour rien, moi, dans tout ça.<br />
— Puisque vous ne dansez pas, offrez-moi une coupe <strong>de</strong> Champagne <strong>au</strong> bar,<br />
dit-elle, brusquement.<br />
Le bar était installé dans une pièce attenante d'où on conservait une vue sur la<br />
salle et la scène par une ouverture en ogive. Nous prîmes place à une extrémité du<br />
comptoir :<br />
— Et moi qui ai fait appel à vous pour ma tranquillité, soupira Geneviève.<br />
Moi qui vous prenais pour un homme tranquille. Et on trouve <strong>de</strong>s morts dans vos<br />
bure<strong>au</strong>x...