R Classica&Christiana _nr7_2_2012_curbe - Facultatea de Istorie ...

478
Xavier LAPRAY
manière fort récente. L’armée manipulaire de Cannes et de l’époque
qui précède n’était pas dotée des qualités de souplesse et de manœuvrabilité
qu’on lui prête habituellement, même si déjà, vraisemblablement,
elle était divisée en manipules mais ceux-ci n’avaient pas
d’autonomie réelle durant le combat et les lignes de bataille étaient
étroitement dépendantes les unes des autres. La fonction des manipules
pourrait avoir été dans un premier temps le déplacement de l’armée
formée en ligne de bataille, avant le combat, ce qui lui permettait, si
l’on retient par exemple l’explication selon laquelle cette division serait
intervenue au moment où les Romains affrontaient les Samnites
sur un terrain accidenté, de ne point souffrir des inconvénients dénoncés
par Polybe pour la rigide phalange macédonienne. L’expression
de «phalange manipulaire» qu’emploie Delbrück prend alors
tout son sens. D’ailleurs, si l’on considère avec cet auteur que l’affirmation
polybienne selon laquelle les triaires sont équipés de lances
n’est plus valable à l’époque où il écrit mais vaut pour des années antérieures,
notamment à Cannes, et que l’adoption par cette troisième
ligne de l’équipement manipulaire, que les sources ne datent pas,
aurait pu intervenir plus tôt, pourquoi ne pas placer cette évolution
justement dans les années qui suivent la bataille de Cannes ? Il se
trouve que les manœuvres que fait opérer Scipion l’Africain à sa troisième
ligne pour attaquer de flanc l’adversaire se comprennent mieux
si ces triaires étaient dotés de l’épée et du pilum plutôt que de la lance 69 ;
l’infanterie libyenne qui opère à Cannes son attaque sur les flancs
aurait justement été équipée à la romaine, ses mouvements se concevant
mieux que dans le cadre d’une phalange de piquiers plus difficilement
manœuvrable.
La thèse qui a ici été défendue n’est pas nouvelle puisque plusieurs
auteurs, notamment Delbrück et Samuels, l’ont déjà suggérée
avec plus ou moins d’ampleur. On s’est attaché ici à souligner que non
seulement elle avait été injustement considérée mais que surtout elle
69 H. Delbrück (op. cit., 273 sq.) remarque que la distinction en trois groupes
d’âges différents a dû devenir une simple formalité au moment de la deuxième guerre
punique, même les hastati n’étant plus aussi jeunes. Le sens des groupements d’âge
a disparu à partir du moment où les unités sont devenues des échelons, et que les
triaires, supposés être favorisés, étaient maintenant rangés de manière libre, comme
force détachée, pour attaquer de flanc ou de front. Ils affrontaient alors les plus
grands dangers et les pertes les plus importantes.