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ce rendez-vous. Vous ignorez à quoi ressemblent les réveillons de Noël à la maison. Ma réplique le fait rire encore. — Vous me le raconterez en détail, j’ai très envie de l’entendre. — Je ne suis pas là pour parler de moi. — L’un n’empêche pas l’autre, assure-t-il. — À lundi Monsieur Peyriac ! Je n’aime pas cette impression que j’ai de m’enfuir. Il gagne trop facilement la partie. — À lundi Hermine, répond-il, conscient d’être le vainqueur. Je pousse un soupir exaspéré. Depuis des heures, j’essaye de formuler un schéma type d’interview comme on nous l’a enseigné en cours mais les occupants de la chambre voisine me rendent folle. *** Ils sont quatre : la mère, le père, une fillette de cinq ou six ans et un garçon encore plus jeune. Ils sont arrivés, il y a dix jours, en remplacement d’une vieille femme que sa famille a décidé de placer en maison de retraite. J’ignore de quel pays ils viennent, ils ne parlent pas un mot de français, leurs tenues sont exotiques et ils s’entassent dans une chambre de douze mètres carrés à tout casser. Je subis les hurlements des gosses que personne ne songe à faire taire, la télé qui beugle jusqu’à une heure très avancée de la nuit, les odeurs grasses de cuisine et ce que je pensais être des disputes entre les époux pour m’apercevoir, au bout d’un certain temps, que c’est leur façon unique de s’exprimer. Incapable de me concentrer, je mets les notes de Paul Peyriac dans mon sac et je décroche mon téléphone. Marion ne répond pas, je fulmine. Nouvelle tentative, nouvel échec. La gamine d’à côté pousse un hurlement qui me hérisse le poil. Tant pis, n’importe quoi, mais plus ça ! Je choisis un autre numéro dans mon répertoire. Cette fois, mon interlocuteur décroche. Je ne lui laisse pas deux secondes avant d’attaquer. — Alain, c’est Mina, j’aurais besoin d’un service. — Qu’est-ce que je peux faire pour toi ? répond-il, un sourire dans la voix. — Tu pourrais m’offrir l’asile pour cette nuit ? — Tu t’es fait jeter de ton squat ? se marre-t-il. — Je ne me suis pas fait jeter mais tu as raison sur le terme de squat.
Un nouveau hurlement et des bruits sourds parviennent jusqu’aux oreilles de mon ami. — On égorge quelqu’un chez toi ? — Je n’en peux plus, je n’arrive pas à bosser. Je peux venir ? — Pas de problème princesse, tu sais que tu es toujours la bienvenue dans mon lit. Je pousse un soupir, je l’entends rire. — Alain, j’ai vraiment besoin de bosser, c’est sérieux. — Je plaisante, je déplierai le canapé. Ce recul purement stratégique ne me leurre pas. Je sais qu’il essayera encore, Alain est du genre obstiné. Mais qu’importe, si je peux m’enfuir d’ici. Je prends en rafale un T-shirt en guise de chemise de nuit, des sous-vêtements propres, un pull et ma trousse de toilette avant de dégringoler mes six étages. En ce vendredi soir, j’ai l’impression que tous les habitants du quartier se sont donné rendez-vous en bas de chez moi. Ça crie, ça gesticule, ça observe aussi parfois d’une façon qui me colle la chair de poule. Ici, l’intruse, c’est moi. Je n’ai pas eu le temps de frapper à la porte, Alain ouvre déjà. Il est torse nu et les cheveux mouillés. Il arbore un grand sourire et apprécie mon regard sur son physique de sportif. Nul doute que c’était largement prémédité. Je reste penaude sur le palier. Il me tire par le poignet et referme derrière moi. Rien n’a changé dans son petit appartement. Je me souviens très exactement de chaque chose, des photos sur le mur au-dessus de son bureau. J’avais pourtant juré de ne plus remettre les pieds ici. Quelle belle résolution ! Alain et moi avons eu ensemble une très brève liaison. Quand je dis brève, elle n’a pas dépassé les trois semaines. C’était au tout début de la première année de journalisme. Lui et moi arrivions de notre province et nous étions aussi paumés l’un que l’autre. Nous nous sommes mutuellement réconfortés jusqu’à ce que nous ayons suffisamment pris nos marques. Nous avons épuisé son stock de préservatifs avant de décider d’un commun accord de ne pas le renouveler ensemble. Cela dit, nous sommes restés très amis et il m’a généreusement offert son aide au cas où. Et le cas où, c’est maintenant. Il me chipe mon sac des mains et l’envoie balader dans un coin. — Hé, je proteste, y a mon ordinateur là-dedans ! Il se marre, se sèche la nuque avec sa serviette et part vers la minuscule cuisine. — Tu veux boire quelque chose ? demande-t-il.
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