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— J’ai accepté de répondre à la sollicitation d’un ami journaliste. J’ai rendez-vous pour une interview télé. Je m’arrête net. Il lève un sourcil en ouvrant la portière de la Jaguar. — Une interview télé ? je bredouille, incrédule. — Vous devez connaître l’émission littéraire de Patrick Luilier, non ? Je manque de m’étrangler. Il s’agit sans conteste de THE émission littéraire, celle qui dure depuis plus de vingt ans sans qu’on ait pu la détrôner, souvent copiée, jamais égalée. — Montez, Mina, dit-il en prenant place derrière le volant. Je ne déteste rien de plus que d’être en retard. Je me presse d’obéir et durant tout le chemin, je veux qu’il me dise pourquoi il a accepté, ce qu’il va dire, qui sera présent. Je suis excitée comme une puce, je vérifie vingt fois la présence de mon bloc-notes dans mon sac. Il rit de mon impatience. — Je savais que ça vous plairait, se réjouit-il. Accrochez-vous à votre stylo, on va s’amuser. Je l’observe d’un air abasourdi. Je lui sers de prétexte à faire enfin ce qu’il voulait depuis longtemps. Tant pis, tant mieux !Je ne sais pas, je me laisse entraîner dans sa folie. Nous arrivons au studio avec 15 minutes d’avance. Paul est accueilli en héros. Patrick Luillier en personne débarque dans la salle où on le maquille. Je ne perds pas une miette, je me gave de tout, c’est du vrai, ce n’est pas comme à l’école. Le journaliste est déjà prêt, il serre la main de son invité avec une sorte de gratitude. — Et bien, tu peux te vanter de m’avoir fait poireauter, Paul, lui dit-il. — Il me fallait un peu de temps pour me détacher de mes obligations professionnelles. Maintenant je suis enfin un homme libre, mon cher Patrick, annonce Paul d’un air qui me fait craindre le pire. Je te présente Hermine Dalambray. Cette jeune fille est sans doute l’une des élèves les plus prometteuses de Mathieu Deshamel. Elle possède une plume fine et acérée comme je les aime. Patrick Luillier se tourne vers moi, je voudrais me mettre dans un trou de souris. Il me tend la main, j’essaye de ne pas trembler en la lui serrant. — Journaliste ? — J’essaye ! Il me considère avec intérêt, mon orgueil se réveille, je soutiens son regard. — Vous devez avoir des qualités certaines si Paul parle ainsi de vous, lâche-t-il. — Je ne serais pas surpris si un jour, Hermine me remplace dans le fauteuil en face de toi, ajoute Paul. Je sursaute à ses propos, il hausse les sourcils et Patrick rit de bon cœur.
— À condition que cette émission survive à la prochaine grille des programmes. — En effet ! admet Paul. Les deux hommes sont appelés sur le plateau. Sur ordre de Patrick Luillier, une assistante m’offre un siège et un point de vue imprenable sur l’émission. Je suis gâtée. Je prends rapidement quelques notes que je finis par abandonner pour suivre l’enregistrement. Paul se lâche, c’est jubilatoire. Patrick va faire un carton avec cette émission. C’est sûr ! Sur le chemin du retour, Paul affirme qu’il se compte plus d’ennemis que d’amis. Les gens qu’il a démolis savaient déjà à quoi s’en tenir, il est serein, il ne craint rien, ni personne. Les vérités blessent souvent parce qu’elles sont des vérités. De mon côté, je comprends mieux ce qu’ont pu ressentir mes parents quand ma franchise passait la barrière de mes lèvres. — Vous êtes bien songeuse, constate-t-il. — Je tâche de me souvenir de tout. C’était très enrichissant, merci Monsieur Peyriac. — Ça, c’est du convenu, devine-t-il. À quoi pensiez-vous vraiment ? Je soupire. Est-ce que j’ai une chance de lui échapper un jour ? — À mes parents ! Il me jette un coup d’œil étonné avant de reporter son attention sur la route. — Expliquez-moi. — À plusieurs reprises, j’ai eu envie de vous dire sur le plateau que ça ne se faisait pas… que vous étiez gonflé de dire ça devant tout le monde et, brusquement, j’ai compris pourquoi mes parents me grondaient si souvent. Paul éclate de rire. J’ai du mal à ne pas en faire autant. — Vous croyez que je deviens raisonnable ? je demande. — Non, surtout pas ! Ne changez rien à ce que vous êtes, Mina. Vous êtes taillée pour la lutte, vous ne devez pas avoir peur d’affronter les gens. — C’est facile pour vous, vous avez tout. Vous pouvez vous le permettre, mais moi ? — Faites-moi confiance, vous aurez vous aussi ce luxe ! — En attendant, nous n’avons pas beaucoup avancé sur votre ouvrage, je fais, boudeuse. Je n’ai rien à vous présenter pour vendredi. — C’est faux, je voudrais que vous mettiez par écrit cette interview, je veux qu’elle figure dans mon livre.
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