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Le 12ème Evangile - Margelle

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oreille et d’une intelligence musicale hors du commun. Des Ombres se souvint<br />

d’un cours d’interprétation à Darmstadt lors duquel des solistes merveilleux<br />

avaient joué cette partition que le compositeur expliquait, passage par passage.<br />

De telles occasions sont rares et cela lui avait beaucoup profité, même s’il n’était<br />

pas fou de l’œuvre. Il préférait les premières grandes pièces symphoniques du<br />

Français, le Visage nuptial, le Soleil des Eaux notamment, il se souvenait d’une<br />

séquence dans laquelle un vif mouvement de l’orchestre aboutit au cri râlé 125<br />

d’un trombone qui domine l’orchestre, un moment emporté, un instant événementiel.<br />

Il avait beaucoup de peine à comprendre pourquoi cet homme dont le<br />

talent de chef et de lecteur grandissait si rapidement, était capable d’extraire des<br />

œuvres du répertoire tellement de sens et d’émotion alors que ses œuvres en<br />

manquaient de plus en plus.<br />

Dans les quelques entretiens qu’ils eurent il s’aperçut qu’une chose les séparait.<br />

<strong>Le</strong>s femmes. Pour Des Ombres c’était aussi évident que la musique. Je<br />

leur dois tout, disait-il, sans elles je ne serais rien. Elles sont la mer. Avec elles il<br />

avait connu l’Océan. À Ibiza il s’était totalement immergé dans la Méditerranée<br />

avec une femme aux allures de soleil noir. Avec le temps ce serait le Pacifique,<br />

Big Sur, <strong>Le</strong> Mexique et le Yucatan, les Bahamas, la mer noire et la mer du<br />

Nord, le golfe Saronique, tout ce qui lui serait essentiel. Il aurait pu vivre sans<br />

manger et presque sans boire mais pas sans femmes, pas sans mer. Il ressentait<br />

les rythmes marins et féminins. Une nuit d’amour était une nuit d’embruns, de<br />

houles parcourues de silences aberrants. Il aimait à la folie, en apnée et c’était<br />

foutralement bon car elles étaient source de son inspiration. Toute sa vie, il serait<br />

jeune dans le lit des femmes, îlot battu par leur ressac.<br />

Un soir, dans un restaurant de Baden-Baden, il demanda distraitement à<br />

Boulez s’il pensait se marier. La réaction du maître fut instantanée. « Pourquoi<br />

faire ? Je ne vais pas m’encombrer d’une femme ! ».<br />

Des Ombres laissa tomber le sujet, leur relation en eut été affectée, il le sentait.<br />

Mais il se mit à voir Boulez comme une sorte de templier, pratiquant la chasteté,<br />

gardant ses énergies pour une seule cause, la musique, le pouvoir aussi. Beaucoup<br />

de gens autour de lui pensaient de même et on jasait énormément sur ce<br />

thème. Ça ne l’intéressait pas, il nota dans son journal qu’en termes de carrière il<br />

n’irait jamais aussi loin que Boulez car le prix à payer était trop élevé. Il n’était<br />

nullement disposé à renoncer aux femmes, à la planète en d’autres termes. Elles<br />

sont, dira-t-il, la « machine à lire le monde ». Cette période de disciple fut l’une<br />

des plus heureuses de sa vie car il apprenait beaucoup de choses avec Boulez.<br />

125 Râlé : ici un effet de souffleur que l’on appelle flatterzunge (un “r” roulé), très employé<br />

par le jazz aussi, produit un son raclé analogue au growl.<br />

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