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Le 12ème Evangile - Margelle

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L’œuvre au noir<br />

l’Amérique venait d’assassiner pour la première fois la culture occidentale<br />

dans ce qu’elle avait de plus précieux<br />

Il y a deux choses dont je suis conscient. L’une est l’arrivée de Mélissa dans<br />

ma vie. Elle a fait surface. L’autre, nettement plus difficile à évoquer, est cette<br />

partition que j’ai écrite en 1960 et qui s’appelle Monades II.<br />

Tomber dans la lumière m’est arrivé trois fois. Je l’ai souvent évoqué, aussi<br />

serai-je bref. La première fois c’était au bord du lac d’Annecy quand mon<br />

cousin, le réfugié de Madagascar qui avait fui la révolte des Malgaches, s’est<br />

mis au piano et a joué la ballade en sol mineur de Chopin. Puis la sonate Apassionata<br />

de Beethoven. Je suis tombé dans la lumière, je n’ai pas d’autre manière<br />

de l’exprimer et, dès mon retour à Genève, j’ai réclamé un piano. Ma vie avec<br />

la musique venait de s’écrire. C’est aussi arrivé au Victoria Hall avec mes amis<br />

de Stuttgart quand j’ai dirigé la Suite lyrique de Berg. Je peux le décrire simplement<br />

: j’ai repris conscience à la fin de l’œuvre en entendant les applaudissements<br />

du public, je ne me souvenais de rien. J’étais entré en transe, c’est rare, ça<br />

arrive. Mais le troisième épisode est beaucoup plus étrange, il s’agit d’une nuit<br />

d’écriture, quand je suis réellement parti dans un lieu où il n’y avait rien d’autre<br />

qu’une intense lumière. Avec le temps je me suis rendu compte que l’œuvre que<br />

j’écrivais alors, Monades II, avait un sens particulier qui échappait même à son<br />

auteur. Je vais essayer de le cerner. Je ne vous promets rien car il s’agit d’une<br />

combinaison de choses rationnelles et de forces tout à fait incontrôlables. C’est<br />

le Grand Œuvre, l’œuvre au noir. 201<br />

Nous autres, les musiciens de l’après-guerre, avons vécu une période exceptionnelle<br />

qu’on a nommé “musique contemporaine”. Ce fut une bulle de trente<br />

ans environ, quarante peut-être. Comment la décrire ? Difficile. Quand je dis<br />

bulle je le dis au même sens que les marchés, les supernovæ, ce fut une explosion<br />

d’intelligence et de savoir, un sang vif et neuf, une ardeur qui envahit la<br />

musique et les musiciens. <strong>Le</strong> mécénat suivait car la musique est le moins rentable<br />

des arts… C’est au début de cette période que Pierre Boulez a écrit que<br />

“tout compositeur qui n’aurait pas vécu cette révolution est inutile” et je ne puis<br />

lui donner tort. Il est essentiel de comprendre les interactions de la musique avec<br />

201 La formule L’Œuvre au noir désigne dans les traités alchimiques la phase de séparation<br />

et de dissolution de la substance qui est, dit-on, la part la plus difficile du Grand Œuvre.<br />

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