Le 12ème Evangile - Margelle

tarda une vingtaine d’années avant de comprendre la portée de cette réflexion
et d’oser violer des codes que la première génération des révolutionnaires avait
déclarés sacrés et incontournables. Il fallait une puissante conscience de l’œuvre
à réaliser pour décider à l’avance de l’évolution de tous ces paramètres. Il y en
avait beaucoup d’autres. La discontinuité, la masse, le style qui pouvaient tous
être définis et le fameux principe ADN, le cœur de cette interface, qui supposait
qu’un ensemble de données fourni au système allait se développer de lui-même
dans les chemins tracés par le créateur. Les fonctions du programme UC permettaient
évidemment de poser des repères, des road marks, et d’intervenir en temps
réel sur la création de la musique. Des Ombres avait même prévu une possibilité
de morphing tout à fait étonnante. Elle permettait d’attribuer le style d’une œuvre
à une autre, ce qui est terriblement complexe comme idée. Le programme
analysait l’œuvre cible et appliquait ses patterns à l’œuvre mère. Il n’aimait pas
trop se servir de cette fonction car appliquer le style d’un romantique à un moderne
était un trop grand défi, les essais donnaient des discours improbables, avec
peu de sens. C’était un peu comme vouloir cloner un arbre avec un poisson ou
un nuage avec un philosophe…
UC fonctionnait à merveille et crachait beaucoup de musique. Mais pas celle
que Des Ombres cherchait. Il n’était pas vraiment parvenu à faire entrer de
l’humain dans l’informatique musicale, même pas à l’aide de quelques coefficients
random, des nombres aléatoires créant des surprises ici ou là. Il arrivait
souvent que le système, guidé par Universal Composer, produise de belles
séquences dont son auteur se demandait avec perplexité s’il en était le père. Il
aurait fallu pour que tout s’harmonise, qu’il revienne à ce rêve tellement… solaire.
Il aurait fallu que le monde soit à faire, qu’il joue quelques notes et que la
musique soit. Il ne lui manquait somme toute qu’une Genèse.
Il était si fatigué qu’il n’entendit pas entrer Mélissa et sursauta violemment
quand il la vit s’asseoir à ses côtés, il était certain d’avoir fermé toutes les portes
du local.
- D’où venez-vous ? fut tout ce qu’il trouva à lui dire.
- De ton futur ! sourit-elle, on va se tutoyer, tu sais. C’est notre troisième rencontre
et quelqu’un te place systématiquement sur ma trajectoire.
- Oh ? tu as une explication ? fit-il quand il put reprendre son souffle.
- Moi non, mais nous… oui, dit-elle. J’en suis sûre.
Sur quoi elle éclata de rire et ajouta :
- C’est forcé ! Tu n’es pas du tout mon type d’homme.
Aucun mec n’aime ce genre de déclaration, ce n’est qu’un appât grossier mais
ça marche.
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